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Dansons la Carmagnole : le centenaire

Percheron, Auguste


Texte d’Auguste Percheron (≤1890). Sur l’air : « La Carmagnole » ?


Le siècle allait finir, avec lui la Pensée
Posait le sceau sacré sur nos droits reconquis,
La Bastille croulait et sa chute élancée
Entraînait les pouvoirs détestés : Je naquis.
Jeune, j’ai vu passer et s’élargir les zones
Où l’esprit, grandissant avait peine à tenir.
J’ai vu tuer des rois, j’ai vu briser des trônes
Et n’ai de tout ceci qu’un chant pour souvenir :
 
Dansons la Carmagnole,
Vive le son, vive le son.
Dansons la Carmagnole,
Vive le son du Canon !
 
Dansons la Carmagnole ! On entend par les rues
Porter lances, fusils, rouler les lourds canons ;
Ce chant monter encor par les foules accrues
Acclamant des soldats à l’ombre des fanons.
Pendant que des rhéteurs, sombres autoritaires,
Bâtissent des pouvoirs sur des pouvoirs tombés
Contre les rois ligués, cohortes libertaires,
Portez, portez L’Idée à des peuples courbés.
 
Dansez la Carmagnole, et les préjugés tombent !
D’autres s’en vont venir et vous dicter des lois
Quand les maîtres d’hier sous le couteau succombent
Les nouveaux à l’instant prennent de nouveaux droits,
En vain la Liberté par le peuple acclamée
Cherche à faire sur lui briller un plus grand jour
Les Hébert, les Babeuf, pleïade décimée,
Sous un for fratricide ont tombé tour à tour.
 
Dansons la Carmagnole ! Les combats et les fêtes
Ont entendu ce chant que le peuple enivré
Promenait au milieu des luttes, des conquêtes
Qu’il faisait sur les rois : mais ce chant éploré
Vint mourir sous le pied du corse parricide
Dont le talon de fer tua la Liberté.
Honte à l’humanité ! Quand un homme décide
Lui seul du sort de tous, honte à l’humanité !
 
Les ans ont succédé, je n’ai vu que des traitres
Se jucher au pouvoir : escobar couronné,
Agiot triomphant. Homme, à changer de maîtres
Te crois-tu comme un bœuf pour toujours destiné
Sera-ce donc en vain que la science éclaire
Le champ de ton labour ; que do nouveaux combats
Auront lieu dans ce champ ; et quand donc la colère
Fera-t-elle au pouvoir ressentir ses éclats ?
 
Oligarques honteux à petite coudée.
La liberté prévoit vos restrictives lois.
Ces hommes à leur taille ont mesuré l’Idée
Qui pâlit sous le faix de leurs sombres exploits.
Des lois, toujours des lois, quand le peuple n’aspire
Qu’à marcher sans lisière, à vivre libre, enfin !
À boire le soleil sans frein, l’air qu’on respire
Sans joug et le blé mur le fauchera sa faim !
 
Dansons donc ! Aujourd’hui le savoir ensemence
Un grain qui. ses rayons inondent de clartés.
Mon siècle est clos. Enfin voilà donc que commence
Dans un ciel neuf le cycle des humanités !
Tourbillons tant prédits ! Ô préjugé tu tombes
Au chaos ; avec toi les pouvoirs détestés
Fondent et de leurs lois ont fait des hécatombes.
Homme prends en la main toutes les libertés !
 
Danse la Carmagnole,
Vive le son, vive le son.
Dansons la Carmagnole,
Vive le son du Canon

Paru dans L’Attaque : organe hebdomadaire anarchiste (1888-1890), nº 61 (1er-8 mars 1890).