À mon ami Benoît-Lévy
Lorsque, robuste, à la tribune,Monta le premier travailleur,Le patron, crevant de fortune,Le regarda d’un air railleur :« Bourgeois, mes confrères, sans cause,« Il ne faut pas nous effrayer ;« Près de nous, c’est si peu de chose,« Un ouvrier ! »Le gros patron reprit son somme ;Il vint un second travailleur.Le bon bourgeois se dit : « En somme,« Il faut voir cela sans terreur :« Les exploiteurs, comme de juste,« Auraient bien tort d’être effrayés ;« Avec le premier, ça fait juste« Deux ouvriers ! »Alors il en vint un troisième,Quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix.Le capitaliste, tout blême,Perdit sa morgue de jadis :« Ma confiance diminue ;« Nous serons bientôt balayés !« C’est rasant, quand ça continue,« Les ouvriers ! »Ça continuera, mangeurs d’hommes !Ogres gorgés dans vos châteaux !Vous serez troublés dans vos sommesLes détenteurs des capitaux !Quittant la fabrique ou la forge,Ils se révoltent, les pillés !Ils vous feront tous rendre gorgeLes ouvriers !Bourgeois tremblants, meute effarée,Grévy, Buffet ou Clémenceau,Faites des digues ! la maréeEmportera votre vaisseau !Regardez : sur l’onde en démence,Les vagues viennent, par milliers.Tremblez ! C’est l’Océan immenseDes ouvriers !
18 mai 1887