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La Chanson de l’aiguille

Boukay, Maurice


Texte de Maurice Boukay (≤1897). Musique par Marcel Legay(1851-1915).


1
« Cours, mon aiguille, dans la laine ! »
Dit l’opéra.
Cours ! il me faut des bas de laine.
Qui les paiera ?
Cours, mon aiguille, file, file !
Voici l’exil.
Cours, voici que ma santé file
Avec mon fil !
 
2
Mon cerveau vide a le vertige :
Toujours trimer !
Mon cœur plus vide a le vertige :
Jamais aimer !
Ni ciel, ni pain ! Jours et nuitées,
L’aiguille avant !
Tomber de sommeil aux nuitées,
Coudre en rêvant !
 
3
Je couds à certains mariages
Des dessus clairs.
Je couds à d’autres mariages
Des dessous chers.
Je couds deux chagrins pour doublure
Au bonheur seul.
Je couds aux berceaux pour doublure
Un grand linceul
 
4
Mes doigts piqués de taches rouges,
Mes doigts meurtris !
Mes yeux gonflés de veines rouges,
Mes yeux flétris !
Mes bras et mes poignets débiles.
Au bout de l’an ;
Mon ventre creux, mes reins débiles,
C’est le bilan !
 
5
Hommes, près de vos sœurs chéries,
Songez à nous !
Songez près des femmes chéries,
Souvenez-vous !
Ce ne sont pas nos toiles blanches
Que vous usez :
C’est notre vie, en ses nuits blanches.
Que vous brisez !
 
6
Cours, mon aiguille, file, file
Le drap des morts !
Au cœur des maîtres, file, file
Tous les remords !
C’est temps fini que le pain vaille
SI cher, si cher !
Et que cependant si peu vaille
Mon sang, ma chair !

Quelques inspirations communes avec « Le Chant de la chemise » (« The Song of the Shirt », 1843) de Thomas Hood ?


Paru dans : Boukay, Maurice. — Chansons rouges / mus. Marcel Legay ; ill. Steinlen. — Paris : Flammarion, 1897.

Paru aussi — sans le 5e couplet — dans : Le Libertaire (1895-1899), nº 116 (6-12 février 1898).