L’ Alléluia des gueux

Le cieux monde vénal touche a son agonie.

Sans avoir fait un pas depuis Quatre-vingt-neuf ;

Il grimace en râlant sa dernière ironie

Pendant que l’Avenir cherche à percer son œuf.

 

On vous dit tous égaux, on cous dit même frères,

Comme Abel et Caïn, ces parents ennemis ;

À l’un tous les bonheurs, à l’autre les misères.

Sans amasser jamais vous travaillez, fourmis ;

 

Peuple, tu sus toujours remporter la victoire,

Toujours tu fus dupé — c’est m$eme ton été —

Si tu ne le crois pas, feuillette ton histoire ;

Elle dit : Gloire au chef et malheur au soldat.

 

Grands-prêtres du veau d’or qui décimez la France,

Vos esclaves d’hier ont le torse puissant,

Ils font claquer au vent, symbole d’espérance,

L’écarlate drapeau qu’ils ont teint de leur sang.

 

Vieillesse qu’on affame et jeunesse qu’on tue,

Verts tous les loqueteux qu’on exploite en grondant,

Mères aux seins taris, vierges qu’on prostitue,

Sus à vos ennemis : œil pour œil, dent pour dent.

 

Ouvrier de la terre, allons sors de ton bouge,

Qu’un cri de révolté réponde à notre écho.

Mets au fer de ta faux, ainsi qu’un guidon rouge,

Pour effrayer ton maitre, un frais coquelicot.

 

Petit-fils des géants redevenus pygmées,

Gargantuas poussifs dont Rabelais eût ri.

Nous vous aveuglerons par de rouges fumées

En brillant votre code au dernier pilori.

 

Vos mensonges savants saupoudrés d’éloquence

Ont ébloui nos yeux d’une poussière d’or.

On baptisait talent votre docte arrogance.

Le chacal se croit roi quand le lion s’endort.

 

Un jour, humilié d’un si long esclavage,

Le fauve révolté se dresse avec hauteur,

Rugissant aux échos, magnifique et sauvage,

D’un sanglant coup de griffe éventre le dompteur.

 

… …

 

Rien ne se meurt ni se perd dans la grande nature ;

La fleur vit du fumier, c’est la loi du progrès.

Bourgeois dégénérés, pour la moisson future,

Vos corps décomposés nous serviront d’engrais.