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Le Froid (chanson de pauvre)

Jouy, Jules


Texte de Jules Jouy (1887).


À mon ami Cazin

« Voici venir l’hiver, tueur des pauvres gens ! »
Jean Richepin

À travers Ia vitre, le froid
Me fixe, ironique et livide.
Je le regarde, avec effroi,
Se moquer de mon âtre vide.
« Te voilà déjà revenu,
Avec la face de Bazile,
Froid noir, bourreau de l’enfant nu,
Du sans-croûte et du sans asile !
 
Tu rentres glacer mon taudis,
De givre obstruant ma lucarne !
Je l’exècre et je tu maudis,
Carne !
 
Les riches, seuls, sont tes amis,
Froid aux justices inégales ;
Froid de plume, doux aux fourmis,
Froid de neige, dur aux cigales.
Brigand ! Tu reviens pour tuer
Les sans-travail et les sans-hardes ;
Pour faire se prostituer
Les ouvrières des mansardes !
 
Si je pouvais te rénvoyer
À coups de trique ou de cravache,
Tu déserterais mon foyer,
Vache !
 
Va, crapule, fais les cinq mois
Et mire-toi bien dans ta glace !
Fondant la neige sur les toits,
Un jour, Avril prendra ta place.
Messager des cœurs de vingt ans,
Te poussant par les deux épaules,
Un beau matin, le gai Printemps
T’enverra rejoindre les pôles !
 
Croque-mort bleu-rose, il viendra
Te prendre, dans son vert carosse,
Et nul ne te regrettera,
Rosse !

6 novembre 1887


Paru dans : Jouy, Jules. Les Chansons de l’année [1887] (Bourbier et Lamoureux, 1888, p. 312-313)

Il s’agit aussi du 19e titre de la série de chansons de Jouy reprises dans le le journal d’Émile Pouget, Le Père Peinard après le décès du chansonnier. Parue ici dans la (2e série, nº 61, du 19-26 décembre 1897).