1Il est déjà deux heures du matinSeul dans la rue un pauvre vieux chemineSon air voûté, sa famélique mineFont voir en lui le vaincu du destinIl va s’asseoir sous l’auvent d’une portePour reposer son corps de soixante ansQuand tout à coup la brise lui apporteL’écho lointain du pas de deux agentsComme le bruit se rapprochant devient plus fortLe vieux murmure en se levant avec effortrefrainMarche, marche ou crève !Le repos pour toi n’est plus qu’un rêveJusqu’en tes vieux joursIl te faut marcher toujoursMarche, pauvre hère,Puisque tu n’as plus de toitIl te faut aller droit devant toi !C’est la marche de la misère.2Deux tout-petits disent : Maman j’ai faim !À cet appel la mère fond en larmes :Elle connaît les cruelles alarmesDe ne pouvoir plus acheter de pain.Depuis un mois, d’un accident d’usine,Le père est mort sur un lit d’hôpital.A la maison s’installe la famine ;Pour la maman le coup est trop brutal.Alors, en un geste d’ultime désespoirElle murmure en descendant vers le trottoirrefrainMarche, marche ou crève !Le bonheur pour toi n’est plus qu’un rêveJusqu’au point du jourFais-toi marchande d’amour.Marche, pauvre mère,Pour nourrir tes deux enfantsIl te faut raccrocher les passants :C’est la marche de la misère !3Sous le soleil brûlant de Biribi,Des petits gars s’avancent en colonne.De temps en temps, un bref appel résonne :Ordre brutal de leur chaouch maudit.Venus ici pour quelque peccadille,Combien d’entre eux n’en repartiront pas !Ils revoient tous en songe leur famille :Les pauvres vieux qui les pleurent la-bas.Et si l’un d’eux tombe, harassé, sur le cheminLe chaouch vient lui crier revolver en mainrefrainMarche, marche ou crève !Le repos pour toi n’est qu’un beau rêve.Surtout si tu veuxUn beau jour revoir tes vieux.Marche, et sans colèreSurtout ne dis pas un mot :Biribi deviendrait ton tombeau.C ’est la marche de la misère !
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Le Chant de la misère
Loréal, Louis
Texte et musique de Louis Loréal. Harmonisation Guméry (Ferdinand Danjaume).
Biribi : bagne militaire français en Afrique du Nord.
Chaouch : sergent, officier ottoman ; par extension (péjoratif), gradé, puis garde-chiourme, gardien de prison.
Publié aussi dans le recueil nº 16 (1928) de Nos chansons (1920-1930) de La Muse rouge.
Paru aussi in : Brécy, Robert. — Autour de La Muse rouge : groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires, 1901-1939. — Saint-Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 1991. — 254 p. (p. 168).