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Vieille maison à démolir

Pottier, Eugène


Texte d’Eugène Pottier (Paris, 1848).


À [Zéphirin] Camélinat, membre de la Commune.

Voyez ce bâtiment doré,
Des badauds si fort admiré,
Mais de solidité factice.
Cave tassant, gros mur fendu,
L’étayer serait temps perdu.
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !
 
Un banquier loge à l’entresol :
Là, de l’industrie et du sol,
Il pompe tout le bénéfice.
Des lingots que l’usure y fond,
Le tas monte jusqu’au plafond.
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !
 
Un spéculateur au premier,
En baisse égorgeant le fermier
De la grêle se fait complice.
Le mur fait ventre sous le grain,
Pour vendre, il attend… qu’on ait faim
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !
 
Une belle aux yeux lucratifs
Attire au second les oisifs,
Son luxe y chatouille le vice ;
Concerts et bals, dans la saison,
Font la nuit trembler la maison…
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !
 
Au-dessus pèse un gros rentier.
De naissance il fait ce métier,
Mange, boit, prend de l’exercice.
Sans impôt, ce bon citoyen
Consomme en paix, ne produit rien.
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !
 
Toute la famille à l’étroit
Grelotte sans pain sous le toit,
Déjà le père est à l’hospice ;
Par la tuile ouverte, la mort
Se glisse avec le vent du nord…
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !
 
Un grand corps de garde est en bas,
Ces pauvres diables de soldats
Bâillent en faisant leur service.
La sentinelle nuit et jour
Y garde en vain monsieur Vautour…
Cette propriété
Croule de vétusté,
Il est temps qu’on la démolisse !

Paris, 1848.


« Monsieur Vautour » est l’archétype du propriétaire exploiteur.


Voir :
Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Dentu, 1887.

Paru aussi — sous le titre « Maison à démolie » — dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 1, nº 7 (29 oct. 1887)

Paru aussi dans Le Père Peinard, 2e série, nº 66 (du 23-30 janvier 1898).

Paru aussi dans : L’Anarchie (1905-1914), nº 106 (18 avril 1907)

Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 26).