Une Lettre de Pitou

1

Au rapport, l’aut’ jour, on a lu

La machin truc d’une ordonnance

Oùs’qu’il est dit que les poilus

C’est les-z-héros d’l’armée d’la France ;

Pis le colon y déclara

Qu’faut pas lir’ des chos’s excessives

Où que sans ça y’ bouclera

Ceuss’ qu’a des idé’s subversives

 

2

Moi que j’ai pas d’idé’s du tout,

Vu que je n’sais pas beaucoup lire,

j’pensais aussitôt : foi d’pitou !

Faut qu’tu t’renseign’s c’que ça veut dire ;

Y’ s’agit d’bien faire attention

Dans l’examen des perspectives,

Sans ça t’aurais un’ punition

Pour caus’ des idé’s subversives.

 

3

Dans la chambré’, comm’ je rentrai,

Afin de me mettre à l’étude,

Voilà l’juteux qui apparaît

Encor plus saoûl qu’à l’habitude ;

Pis v’là qu’y gueul’ comme un damné

— sans même avaler sa salive —

J’les foutr’ai d’dans, j’les f’rai tourner,

Les lascards d’idé’s subversives !

 

4

Ne comprenant toujours rien

Aux caus’s de ces vitupérances,

Je rapplique vers mon ancien

Qu’est au courant des accointances ;

Mon vieux Pitou comm’ ça, qu’y m’dit ;

T’en fais pas pour ces invectives,

Quand tu seras plus dégourdi

T’auras des idé’s subversives.

 

5

Dégourdi ? comm’ ça, que j’me dit :

C’est le contrair’ d’un imbécile,

Y’ faut donc, que dans mon fourbi,

J’émagin’ quelque chose d’utile ;

Et la nuit, au y’eu de roupiller

Dans une torpeur esspectative,

J’ai foutu l’drapeau dans l’fumier,

C’est p’têt’e une idé’ subversive !

 

6

Alorss’ depuis ce coup d’temps là

Comm’ j’en ai marr’ de leur caserne,

J’suis dégouté d’être soldat

Et d’la vach’ri’ des vieilles badernes ;

Et si j’peux pas m’fair’ réformer

Pour faiblesse constitutive

Pour sûr que j’m’en va déserter

Car j’ai des idé’s subversives !