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Ne joue pas au soldat

Delon, Robert

Texte de Robert Delon (≤ 1909).

Aux enfants des tyrans,
Pour qu’ils le récitent à leurs pères.

Enfant rieur, que fais-tu là
Avec ton fusil sur l’épaule ?
Vas-tu d’un pôle à l’autre pôle
Semer la mort comme Attila ?
 
Pareil au tueur en liesse,
Au guerrier de France ou d’ailleurs,
Hélas ! De tes jours les meilleurs
Vas-tu flétrir la joliesse ?
 
Pourtant ton front semble serein,
Tout ton être palpite et chante.
As-tu donc l’âme si méchante,
Le cœur plus dur que de l’airain ?
 
Non, guidé par des mains honnêtes,
Tu pris le sentier du Devoir
Où l’on meurt, debout, sans rien voir
Sous l’œil glauques des proxénètes.
 
Séduit par un rêve trompeur
Dont t’échappe la fin dernière,
Tu veux capter mainte bannière,
Ô jeune Chevalier sans peur !
 
Mais tes cris de rage et de haine,
Jetés par orgueil, sonnent faux.
Tu ne saurais prendre une faux,
Saper la moindre vie humaine.
 
Quoi ! Pour quelque vieux paladin
Tu donnerais ta chair vermeille
Quand la tendresse en toi sommeille
Et peut se réveiller soudain !
 
Pour un ministre sans entraille,
Au nom des peuples assagis,
Tu t’en irais, loin du logis,
Hurler sous un ciel de mitraille !
 
Ah ! De ton cerveau jeune encore
Chasse ces macabres pensées.
Vois, que de têtes fracassées
Cache souvent un vain décor.
 
Allons, brise enfin ton épée,
Ton fusil ; ces jouets de rois ;
Fuis les héros cruels et froids,
Et vis… même sans épopée.

Paru aussi dans : L’Anarchie (1905-1914), nº 196 (7 janvier 1909)