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Les Dieux du sang

Théodore, Jean

Texte de Théodore Jean (1891 ?).

Pour l’anniversaire des martyrs de Chicago

Les dieux d’antan,
Les dieux de pierre,
Les dieux de bois,
Les dieux de sang sont pas morts !
 
Les Trônes, qui courbaient ces fronts,
Les Autels, ployant les genoux,
Les barbares Idolâtries
Vivent encore !
 
Les Divinités, encensées
Par les vapeurs des chairs brûlées,
Les orgueils des Sauvageries,
Les triomphes des Tyrannies
Reçoivent les apothéoses.
 
Les statues, les hymnes, Les gloires
S’élèvent pour Les Égorgeurs.
Et les pompes, les flatteries,
Les cortèges des serviteurs,
Et l’armée des férocités,
Et les troupeaux de ta Bêtise
Chantent la beauté des Bourreaux !
 
Mais les hontes, l’ignominie,
Et les bagnes, et les supplices
Frappent tes héros de l’Idée
Qu’indignent les iniquités,
Frappent les cœurs humanitaires
Que les misères adolorent ,
Frappent les penseurs, révoltés
Par l’horreur des assassinats,
Frappent les justes qui se lèvent,
Découvreurs de la Vérité,
Proclamateurs de l’Idéal !
 
Les tsars, les papes, les pontifes,
Les empereurs, Les rois, les juges,
Sont toujours les dieux tout puissants
Les dieux de fer, les dieux de sang.
 
Toujours, et par toute la Terre,
Les Seigneurs, les maitres, les chefs
Écrasent de leurs pieds sanglants
Les cœurs des foutes exploitées,
Et comme au vieux temps des tûries
Se nourrissent de leurs chaires crues
Et boivent les rouges rosées
Qui tombent des yeux éplorés
Des nations martyrisées !
 
0 Jl1arty1·s, qu’on. pend, qu’on égorge,
Que, dans les tombeaux des prisons,
Les Cayennes, les Sibéries,
Vivants, on enterre,
Votre Pensée est immortelle,
Les Temps futurs vous aimeront.
 
Vos Paroles laboureront
Les intelligences humaines,
Y feront germer les vouloirs,
Y pousser les actes virils.
Les canons. les forts, les frontières,
Les baïonnettes et les lois,
Toutes les armes des tûries,
Toutes les machines de guerre,
Tout l’arsenal des Barbaries ;
Seront vaincus par la Science,
Seront broyés par tous les Hommes,
Libres, Égaux et Fraternels,
Réellement émancipés
Dans la radieuse Anarchie !
 
Et si les Peuples restent sourds,
Sourds à vos voix libératrices,
Sourds à leur conscience intime,
Sourds à l’avenir de leur vie,
Sourds à l’appel de La Nature,
Les Cratères s’insurgeront,
De leurs épaules montagneuses,
Ils secoûront les cathédrales
Du Mal, de l’Ignoble et du Vil ;
De leurs colères de taureaux,
Ils viendront heurter les vieux trônes,
Et renverser les piédestaux,
Et pulvériser tous les dieux !
 
Ils vomiront des mers de flammes :
Et les Temples, les Châteaux-Forts,
Les Kremlin, les Escurial,
Les Palais, toutes tes Bastilles,
Tous les dieux de fer et de sang,
Dont L’ombre pesait à la Terre,
Crouleront dans les incendies,
Et s’envoleront en poussière !

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 5, suppl. litt. au nº 10 (28 nov. 1891)