À Paul Adam.
1Si le hasard, qui m’a fait l’âme fièreVoulait qu’un jour je fusse mendiant,Je n’irai pas, le front dans la poussière,Me ravaler devant chaque passant ;Je n’irai pas les yeux remplis de larmesEn plein soleil implorer un humain ;Mais, chaque nuit, me riant des gens d’armes,Je mendierais le poignard à la main !2Quand le chômage, en un jour de misère,Sur le pavé vous jette sans recours,Combien s’en vont, oubliant leur colère,Tendre la main on chanter dans les cours !Perdu dans l’ombre et fuyant dès l’aurore,À votre place, ô lâches meurt-de-faim,Dans les quartiers que le luxe décore,Je mendierai le poignard à la main !3Combien de fois promenant ma tristesse,J’ai fait s’enfuir d’un regard irritéDe ces truands, à l’ignoble bassesse,Qui, sur ma route, outrageaient ma fierté !Arrière ! au loin ! le pauvre assez infâmePour quémander partout sur son chemin :Si j’étais gueux, bien haut je le proclame,Je mendierais un poignard à la main !4Déshérités ! vous tous, que l’on méprise,Et que partout l’on traque avec fureur,Écoutez-moi, la colère me grise,Je veux parler et vous ouvrir mon cœur.« Nous avons droit, tous autant que nous sommes« Au pain du jour, au pain du lendemain…« Hé bien, debout ! si vous êtes des hommes :« Nous ne l’aurons qu’un poignard à la main ! »