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Si j’étais mendiant

Lecocq, Ernest

Texte d’Ernest Lecocq (1891 ?).

À Paul Adam.

1
Si le hasard, qui m’a fait l’âme fière
Voulait qu’un jour je fusse mendiant,
Je n’irai pas, le front dans la poussière,
Me ravaler devant chaque passant ;
Je n’irai pas les yeux remplis de larmes
En plein soleil implorer un humain ;
Mais, chaque nuit, me riant des gens d’armes,
Je mendierais le poignard à la main !
 
2
Quand le chômage, en un jour de misère,
Sur le pavé vous jette sans recours,
Combien s’en vont, oubliant leur colère,
Tendre la main on chanter dans les cours !
Perdu dans l’ombre et fuyant dès l’aurore,
À votre place, ô lâches meurt-de-faim,
Dans les quartiers que le luxe décore,
Je mendierai le poignard à la main !
 
3
Combien de fois promenant ma tristesse,
J’ai fait s’enfuir d’un regard irrité
De ces truands, à l’ignoble bassesse,
Qui, sur ma route, outrageaient ma fierté !
Arrière ! au loin ! le pauvre assez infâme
Pour quémander partout sur son chemin :
Si j’étais gueux, bien haut je le proclame,
Je mendierais un poignard à la main !
 
4
Déshérités ! vous tous, que l’on méprise,
Et que partout l’on traque avec fureur,
Écoutez-moi, la colère me grise,
Je veux parler et vous ouvrir mon cœur.
« Nous avons droit, tous autant que nous sommes
« Au pain du jour, au pain du lendemain…
« Hé bien, debout ! si vous êtes des hommes :
« Nous ne l’aurons qu’un poignard à la main ! »

Paru aussi dans : La Révolte : organe communiste-anarchiste. — Paris : 1887-1894. — Année 4, suppl. litt. au nº 41 (20 juin 1891)