La Ménagerie russe en voyage

1

Les plus féroces animaux

De la grande famille humaine Semblent, de signes amicaux, Leurrer la paix européenne. Mères de fiers gas de vingt ans, Par avarice de vos larmes, Défendez ces fruits de vos flancs De la caserne et des gendarmes !

 

(refrain)

Quand les tigres royaux

S’entrefont patte blanche,

Pour les âpres corbeaux

C’est du pain sur la planche.

 

2

Les tigres dont je veux parler

Ne sont pas nés dans la broussaille ;

Leurs fines dents ne vont perler

Qu’aux blancs palais de la ripaille.

Au lieu de les inquiéter,

Le peuple mouton, courte vue,

Pavoise, et pour mieux les fêter,

Va les encenser dans la rue !

 

3

C’est le tour d’un ours mal léché,

Qui tient sous sa griffe dorée

Tout un pauvre peuple miché.

Prêtres, chantez l’hymne sacrée !

Il va passer, l’œil insolent,

Entraînant à sa suite immonde

Bourgeois, gobeur, noble et manant,

Beuglant des vivats à la ronde !

 

4

Après les emballements fous

De la marmite populaire,

Toute la clique des marlous,

Cette crapule autoritaire

Ira s’empiffrer de bons mets,

Quand la pourvoyeuse imbécile

N’aura qu’un grand : « Je te promets

Le pain, la paix, le domicile ».

 

5

Monstres puissants, monstres du jour,

Vous pouvez, d’Europe en Asie,

Croquer vos troupeaux tour à tour

S’il vous en prend la fantaisie ;

Vos chiens de garde, récoltés

Aux champs de l’humaine tuerie,

Se changeront des révoltés

De la Nouvelle en Sibérie.

 

5

Tout beau ! Sultans rouges et blancs.

Fous furieux de sang avides,

Mais que de vos chars triomphants

La vengeance prenne les guides.

Tout comme de simples bourreaux,

Malgré vos dévots en prière,

Votre char, au fond des tombeaux,

N’est plus que charogne et poussière.

 

(refrain)

Quand les tigres royaux

S’entrefont patte blanche,

Pour les âpres corbeaux

C’est du pain sur la planche.