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Repus

Bercy, Léon de

Texte de Léon de Bercy (≤1900).

1
SOMNOLENCE
 
Sots ennemis des divergences,
En gnosiphobes absolus,
Ils gardent leurs intelligences
De supputer les contingences.
Ils bâfrent : rien ne leur est plus !
Laissant les questions d’écoles
Qui sont pour eux de vastes colles,
Craignent-ils d’être désoles
À créer des contentions !
Mais ils se vantent d’être idoines,
Plus que soudards et mieux que moines,
À faire enfler leurs péritoines
Sous de rudes libations.
 
De leur bedaine bien repue
Grimpe par éructations
À leur bouche grasse et lippue
Une haleine tiède qui pue
Le labeur des digestions.
Ils se vautrent, par habitude,
Dans l’épaisse béatitude
Qui par tous leurs pores exsude ;
Et sur leur quadruple menton
Leur face leucoflegmatique
Ou bêtement apoplectique
Penche ; et déjà la sciatique
Leur fait des cuisses de coton.
 
Les yeux clos, alors que s’opère
La ponction des aliments,
— Le ventre étant leur seul repère —
À celui qui fut le compère
Du leur ils songent par moments…
Ventres ridés, ventres rigides
D’épouses présent rigides,
Qu’ils ont meurtris sous leurs égides
De la Famille et de la Loi,
Ventres estampés par les couches,
Vous n’êtes plus bons pour leurs couches.
On parle de nouvelles couches :
Il leur faut un meilleur aloi !
 
C’est pourquoi de la désolée
Toison de vos pubis ternis
D’où la prime astre s’est envolée
S’en court leur pensée, affolée,
Vers des horizon » infinis.
Là sont des gamines grisées
Au champagne, poudrerizées.
Qui, sans les bouffettes frisées,
Conservent intact leur hymen,
Mais font oublier, captivantes,
Par les caresses innervantes
D’autres muqueuses plus savantes
Celles de dessous l’abdomen.
 
Et cette pensée encore jase
À ces vieux échansons d’Éros :
« Quoi ? l’amour n’a-t-il qu’une phase ?
« Cherchez-vous quelque nouveau vase ?
« Les Sapins ont bien leur Lesbos.
« Il est des excès que l’on ose ;
« Il ne faut pas qu’on s’ankylose
« À faire à la papa la chose :
« Bébé te le coït décent !
« Ève n’a pas seule la pomme ! »
Or, tranquillement, dans un somme,
Ils s’en vont jusques à Sodome
 
Où languit quelque adolescent.
Tiens ! ces messieurs que guettent l’asthme
Le gâtisme, « e tutti quanti »,
Appètent d’éprouver un spasme
Neuf à chaque aphrodisiaque ;
Ils veulent avoir ressenti,
Avant d’abandonner ce monde.
Tout le Plaisir, que rien n’émonde :
Du sublime jusqu’à l’immonde !
Et de leur inepte cerveau
Les cellules endolories
Voient défiler les théories
D’étranges fantasmagories
Émanant d’un désir nouveau.
 
2
SONGE
 
Ô le songe !
Par la Porte d’ivoire ou de Corne venu.
Que de fois du délire au sein duquel il plonge
Ne fait-il pas hélas ! l’amertume qui ronge
Le cœur le mieux entretenu ?
 
Ô le songe !
Il entre bel ou laid. Et son port biscornu
Fait naître ris ou pleurs : ou veut qu’il se prolonge
Quand il titille, ou bien que cesse son mesonge
Lorsqu’il apparaît saugrenu.
 
Ô le songe !
Le graveleux ! le raide ! adoré du chenu !
Qui rend de la vigueur au podagre qui flonge !
Lui trouble les esprits ! lui caresse la longe !
Et crée un prurit inconnu !
 
Ô le songe !
Ô la satyriase ! ô le rut maintenu !
Dans l’exonéirose ardente qui l’allonge !
Ô le linge étonné qu’on le froisse et qui fonge !
Ô la folle ivresse de nu !
 
Ô le songe !…
Lorsque l’on a par lui tant de charme obtenu,
Pourquoi faut-il qu’il vienne ainsi que coup d’éponge
Effacer le bonheur ; et brise-t-il sa longe,
Lien si faible, si ténu ?
 
3
CAUCHEMAR
 
Les lombes, sous les lancinances
Du stupre en le rêve établi,
Comme répudiant l’oubli,
Des anciennes incontinences,
Les lombes ont faibli.
 
La torpeur a gagné les moelles,
Menaçant leur cohésion ;
Le mythe en sa dérision
Change, en s’obscurcissant de voiles,
L’aimable vision.
 
Déjà deviennent indicibles
Les impures vicieux :
Les éphèbes délicieux,
Aussi les » fillettes graciles
Aux yeux malicieux…
 
Maintenant c’est toute une bande
Qui, fantasque méli-mélo,
Transforme soudain le tableau
Où se danse la sarabande
De tout ce populo.
 
Tout s’irradie et tout rougeoie ;
Illuminant les figurants,
Maints artifices fulgurants
Épandent des lueurs de joie
Par l’épaisseur des rangs.
 
C’est une chimérique fête
Où prennent place le repu,
Le corrupteur, le corrompu,
Tous ceux-là qui tiennent le faîte…
-- Le charme s’est rompu !
 
Car, dans l’immense pétarade
De satisfaits et de mafflus,
Leurs bons visages ne sont plus
Que binettes de mascarade
Aux rictus invoulus.
 
Tout craque, et s’effrite, et s’effondre,
De ce qui fut gloire jadis ;
Et, sur ce tas de refroidis,
On voit s’unir et se confondre
Le Vrai, le Beau : grandis.
 
4
RÉVEIL
 
En ce choc des métamorphoses
Où croulent les vieilles cités ;
Sous ce heurt violent des choses.
Des êtres et des entités ;
Devant cet étrange spectacle
Qu’offrent les immanents destins :
Du gavé les lourds intestins.
— Où gît son âme, réceptacle
Des plus criminelles erreurs —
Surgissent les noires terreurs.
 
Mais tant brutale est leur secousse
Et si prompt l’envahissement,
Que leur acuité s’émousse ;
Et c’est dans l’ébahissement.
Dans le bizarre des orblutes,
Que s’épanouit le réveil
Et que disparaît l’appareil
Qu’on entrevit d’ultimes luttes.
Alors les espoirs sont reniés
Qui vont rejoindre leurs aînés.
 
Car le cauchemar a fait trêve
Et son cortège de frayeurs
S’éteint avec le mauvais rêve… :
« Appelle donc les jours meilleurs,
« Bon opprimé, pour que j’en rie !
« Je demeure le Capital !
« Et, solide à mon piédestal,
« Je compte sur ta veulerie.
« Tu n’es que mots, illuminé…
« Crève, nous avons bien dîné ! »

Paru aussi dans : Le Libertaire, 3e série (1899-1901), in nº 42 (16-22 septembre 1900).