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La Messe rouge

Herbel, Émile

Texte d’Émile Herbel (≤1888).

1
Les cloches au sonneur dociles
Nous assourdissent de leur bruit,
Les chrétiennes en longues files
Vont à la messe de minuit ;
Mais au loin une masse bouge,
On entend des avis irrités :
Voici les serfs révoltés
Qui vont à la messe rouge ;
 
Là-bas au clocher du lieu saint,
Le bronze carillonne ;
Ce n’est pas la messe qu’il sonne,
C’est le tocsin !
 
2
Ils ont pour armes la cognée,
La faux, le lourd bâton noueux !
Ils vont ! ils vont ! l’âme poignée !
S’excitant de leurs cris entre eux.
Les torches jettent sur leur masse
Des tueurs prises à l’enfer ;
La Mort dit à Lucifer :
« C’est ma cohorte qui passe.
 
Là-bas au clocher du lieu saint,
Le bronze carillonne ;
Ce n’est pas la messe qu’il sonne,
C’est le tocsin !
 
3
Ils marchent vers les tours hautaines
Du castel où, suivant les us,
Les barons et les capitaines,
Vont fêter le Seigneur Jésus.
Chantez damoiseaux ! belles dames !
Chantes les doux feux de l’amour !
Avant que vienne le jour
Vous subirez d’autres flammes.
 
Là-bas au clocher du lieu saint,
Le bronze carillonne ;
Ce n’est pas la messe qu’il sonne,
C’est le tocsin !
 
4
Des Jaques la troupe s’arrête
Un homme est sorti de leurs rangs,
Il parle : « Si votre âme est prête
Pour le châtiment des tyrans,
Si nulle pitié ne vous trouble,
Allez ! tuez ! n’épargnes rien ! »
Tous disent : « Tu verras bien
Si nous ne frappons pas double. »
 
Là-bas au clocher du lieu saint,
Le bronze carillonne ;
Ce n’est pas la messe qu’il sonne,
C’est le tocsin !
 
5
Alors au carnage on se rue !
Rien ne peut briser leur effort !
Chacun pille, viole ou tue !
Sans pitié tout est mis à mort !
Le populaire a la main rude,
S’il est bon, il est fort aussi !
Un seul instant venge ainsi
Des siècles de servitude.
 
Là-bas au clocher du lieu saint,
Le bronze carillonne ;
Ce n’est pas la messe qu’il sonne,
C’est le tocsin !

Paru aussi dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 27 (29 décembre 1888-5 janvier 1889).