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Père et fille

Herbel, Émile

Texte d’Émile Herbel (≤1888).

1
Ah !mon père ! je suis enceinte !
Hélas ! que vais-je devenir ?
— Pourquoi n’as-tu pas bu l’absinthe
Qui fait les règles revenir ?
— C’est que ce pauvre petit être
Qui, de moi, quelque jour va naître
Je ne veux pas l’anéantir.
— Allons, ma fille, sois plus forte !
Il faut bien que l’enfant avorte
Quand on ne peut pas le nourrir.
 
— L’enfant remue.
— Eh ! qu’on te tue !
Pour lui mieux vaut mourir
Que souffrir !
 
2
Père ! cependant notre chienne
Ne fait pas mourir ses petits.
— Çà ! que veux-tu donc qu’il devienne
L’enfant dont les jours sont maudits ?
— Dussè-je crever à la peine.
Je l’élèverai ! — Sois certaine
Qu’il t’en maudirait tôt ou tard.
Que serait-il ? Un pauvre hère,
Mieux vaut la mort que la misère !
— Père ! grâce pour le bâtard !
 
— L’enfant remue.
— Eh ! qu’on te tue !
Pour lui mieux vaut mourir
Que souffrir !
 
3
— C’est faire un acte charitable
Que tuer cet enfant. Enfin
Que serait-il ? un lamentable !
Un va-nu-pieds ! un meurt-de-faim !
Traînant une effroyable vie !
Rongé par le haine et l’envie !
Chaque jour, maudissant son sort.
Ou, las enfin d’être victime
Demandant le bien-être au crime !
J’aime cent fois mieux le voir mort !
 
— L’enfant remue.
— Eh ! qu’on te tue !
Pour lui mieux vaut mourir
Que souffrir !
 
4
— Non ! Non ! Élevons-le mon père.
Afin qu’un jour il prenne rang
Parmi les gueux, dont la colère
Fera bientôt couler le sang
De ceux que rend durs la richesse.
— Soit élevons-le mais, sans cesse,
Faisons-lui passer dans le cœur
Du bourgeois oppresseur la haine.
Pour que, dans la lutte prochaine,
Il soit pour le peuple vainqueur.
 
— L’enfant remue.
— Qu’il vie et tue !
Ceux qui nous font souffrir
Et mourir !

Paru aussi dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 23 (24 novembre-1er décembre 1888).