1Ah !mon père ! je suis enceinte !Hélas ! que vais-je devenir ?— Pourquoi n’as-tu pas bu l’absintheQui fait les règles revenir ?— C’est que ce pauvre petit êtreQui, de moi, quelque jour va naîtreJe ne veux pas l’anéantir.— Allons, ma fille, sois plus forte !Il faut bien que l’enfant avorteQuand on ne peut pas le nourrir.— L’enfant remue.— Eh ! qu’on te tue !Pour lui mieux vaut mourirQue souffrir !2Père ! cependant notre chienneNe fait pas mourir ses petits.— Çà ! que veux-tu donc qu’il devienneL’enfant dont les jours sont maudits ?— Dussè-je crever à la peine.Je l’élèverai ! — Sois certaineQu’il t’en maudirait tôt ou tard.Que serait-il ? Un pauvre hère,Mieux vaut la mort que la misère !— Père ! grâce pour le bâtard !— L’enfant remue.— Eh ! qu’on te tue !Pour lui mieux vaut mourirQue souffrir !3— C’est faire un acte charitableQue tuer cet enfant. EnfinQue serait-il ? un lamentable !Un va-nu-pieds ! un meurt-de-faim !Traînant une effroyable vie !Rongé par le haine et l’envie !Chaque jour, maudissant son sort.Ou, las enfin d’être victimeDemandant le bien-être au crime !J’aime cent fois mieux le voir mort !— L’enfant remue.— Eh ! qu’on te tue !Pour lui mieux vaut mourirQue souffrir !4— Non ! Non ! Élevons-le mon père.Afin qu’un jour il prenne rangParmi les gueux, dont la colèreFera bientôt couler le sangDe ceux que rend durs la richesse.— Soit élevons-le mais, sans cesse,Faisons-lui passer dans le cœurDu bourgeois oppresseur la haine.Pour que, dans la lutte prochaine,Il soit pour le peuple vainqueur.— L’enfant remue.— Qu’il vie et tue !Ceux qui nous font souffrirEt mourir !
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Père et fille
Herbel, Émile
Texte d’Émile Herbel (≤1888).
Paru aussi dans L’Attaque : organe socialiste révolutionnaire (1888-1890), nº 23 (24 novembre-1er décembre 1888).