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Le Chant de la misère

Loréal, Louis


Texte et musique de Louis Loréal. Harmonisation Guméry (Ferdinand Danjaume).


1
Il est déjà deux heures du matin
Seul dans la rue un pauvre vieux chemine
Son air voûté, sa famélique mine
Font voir en lui le vaincu du destin
Il va s’asseoir sous l’auvent d’une porte
Pour reposer son corps de soixante ans
Quand tout à coup la brise lui apporte
L’écho lointain du pas de deux agents
Comme le bruit se rapprochant devient plus fort
Le vieux murmure en se levant avec effort
 
refrain
Marche, marche ou crève !
Le repos pour toi n’est plus qu’un rêve
Jusqu’en tes vieux jours
Il te faut marcher toujours
Marche, pauvre hère,
Puisque tu n’as plus de toit
Il te faut aller droit devant toi !
C’est la marche de la misère.
 
2
Deux tout-petits disent : Maman j’ai faim !
À cet appel la mère fond en larmes :
Elle connaît les cruelles alarmes
De ne pouvoir plus acheter de pain.
Depuis un mois, d’un accident d’usine,
Le père est mort sur un lit d’hôpital.
A la maison s’installe la famine ;
Pour la maman le coup est trop brutal.
Alors, en un geste d’ultime désespoir
Elle murmure en descendant vers le trottoir
 
refrain
Marche, marche ou crève !
Le bonheur pour toi n’est plus qu’un rêve
Jusqu’au point du jour
Fais-toi marchande d’amour.
Marche, pauvre mère,
Pour nourrir tes deux enfants
Il te faut raccrocher les passants :
C’est la marche de la misère !
 
3
Sous le soleil brûlant de Biribi,
Des petits gars s’avancent en colonne.
De temps en temps, un bref appel résonne :
Ordre brutal de leur chaouch maudit.
Venus ici pour quelque peccadille,
Combien d’entre eux n’en repartiront pas !
Ils revoient tous en songe leur famille :
Les pauvres vieux qui les pleurent la-bas.
Et si l’un d’eux tombe, harassé, sur le chemin
Le chaouch vient lui crier revolver en main
 
refrain
Marche, marche ou crève !
Le repos pour toi n’est qu’un beau rêve.
Surtout si tu veux
Un beau jour revoir tes vieux.
Marche, et sans colère
Surtout ne dis pas un mot :
Biribi deviendrait ton tombeau.
C ’est la marche de la misère !

Biribi : bagne militaire français en Afrique du Nord.
Chaouch : sergent, officier ottoman ; par extension (péjoratif), gradé, puis garde-chiourme, gardien de prison.


Publié aussi dans le recueil nº 16 (1928) de Nos chansons (1920-1930) de La Muse rouge.

Paru aussi in : Brécy, Robert. — Autour de La Muse rouge : groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires, 1901-1939. — Saint-Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 1991. — 254 p. (p. 168).