Les éléphants ont souvent des furiesDe nègres saouls. On les voit mettre à sacPlantations et factoriesFoulant le corps sanglant de leur cornac.Et puis après tout un carnage infâmeIls vont, avec leur trompe, à petits jetsArroser les fleurs de la dameQui vient d’Europe et lit du Paul Bourget.Les éléphants ont cette humeur bizarre…Celui qu’on loge à l’Élysée, chez nous,A, l’autre jour, sans crier gare,Trouvé moyen de faire un de ces coups,Après avoir traîné ses grosses pattesParmi le sang de Liabeuf, il s’en vient,Plein d’attentions délicates,De gracier un ignoble vaurien.Il ne peut pas voir ces choses affreuses ;Des soldats faire office de bourreaux.Que Graby se la coule heureuseEt que sa peau demeure sans accroc !Mais que n’a-t-il, notre doux pachyderme,Même scrupule au moins qu’envers GrabyEnvers ceux que torturent fermeLes vils chaouchs, bourreaux de Biribi ?S’émeut-il donc, lorsque dans une grève,Quand ont sonné les sinistres appels,Retentit la décharge brèveEt froidement enlevée des Lebels ?Et cependant les gens que l’on fusilleSans jugement, par un arrêt subit,Malgré qu’ils n’aient dans leur familleAucun mouchard, valent-ils pas Graby ?Non. Tout ce temps, il s’ébroue dans sa mare,Flairant l’odeur de meurtre qui lui vientDu sein pourpre de la bagarreOù les soldats couchent les citoyens.Les éléphants ont cette humeur bizarre !…
(6 août 1910)