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Les Résignés

Privas, Xavier


Texte de Xavier Privas (≤1897).


À Georges Vanor.

En les bas quartiers de Lutèce.
Il est des gueux qui vont foulant
Le pavé d’un pas chancelant
Le front ceint d’un air indolent
Contrastant avec leur détresse :
Ce sont des doux, des résignés.
Parmi les vaincus de la vie,
Par le destin L’âme asservie,
Ils poursuivent, sevrés d’envie,
Les jours qui leur sont assignés,
Les résignés !
 
Indifférents à toutes choses.
Ne tendant même pas la main.
Ils vont sans souci de demain,
Comme si le désert humain
Célait des oasis de roses :
Par l’abrutissement gagnés.
Ils subissent revers, sévices.
Hontes, affronts, peines, supplices,
Toutes les pires injustices,
Sans moindrement être indignés,
Les résignés.
 
Pauvres gens au cerveau débile.
Aux appétits neutralisés.
Sous l’œil froid des civilisés
Reposez vos membres brisés
Sur le pavé de la grand’ ville.
Las ! tant que seront alignés,
Comme d’infécondes semailles.
De grands mots creux sur nos murailles.
Vous ne serez en nos batailles
Que d’immuables dédaignés,
Ô Résignés.
 
Mais quand naîtra l’aurore blonde
Du jour où, lassés d’avoir faim,
Vous revendiquerez enfin
Votre juste part au butin
Des plaisirs et splendeurs du monde,
Par les révoltes empoignés.
Vous frapperez en vos colères
Tous les fauteurs de vos misères
Et courtiserez les chimères
Dont vos esprits sont imprégnés,
Ô Résignés !

Paru chez Ondet (Paris).

Puis, publié dans : Privas, Xavier. — Chansons chimériques. — Paris : Ollendorf, 1897.
Voir aussi la 5e édition (p. 197-201 de le 5e éd.)

Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 111 (25 décembre 1897-1er janvier 1898).