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Communion

Théodore, Jean


Texte de Théodore Jean (≤1896).


À Prosper Castanier

Arbres, vos voix sont plus touchantes que nos mots.
Vos feuillages chanteurs cachent combien de lyres.
Vos fruits sont des bontés et vos fleurs des sourires,
À nos loirs, à nos faims vous tendez vos rameaux.
 
Arbres consolateurs vous êtes fraternels.
Calmes vous prodiguez les baumes sur nos peines.
Forêts, vous parlez mieux que des faces humaines.
Et vos chansons bercent les cœurs emplis de fiel.
 
Vous êtes les amis de l’homme et de l’oiseau.
L’insecte vient blottir son nid sous vos feuillées.
Aux moissonneurs par les lourde ensoleillées
Vous faites de votre ombre un maternel berceau.
 
Arbres, mes compagnons de voyage et de rêves.
Je vous aime comme un des vôtres ; parmi vous,
Loin de la ville amère où fleurit le dégoût,
J’aime en mon corps sentir l’âpreté de vos sèves.
 
Avec vous je voudrais oublier qu’il existe
Des cerveaux torturés aux jougs des privilèges,
Des puretés vouées à tous les sacrilèges,
Et des hontes qui par les vieilles lois persistent.
 
Forêts, qui murmurez comme des flots mouvants,
Que ne puis-je, affranchi des hommes, dans vos sentes
Faites de solitude et de paix bienfaisantes,
Vivre ma vie, loin des rancœurs et des vivants.
 
Arbres, j’admire encor vos rigides statures,
Vos dédains, vos mépris impassibles et fiers.
Comme vos troncs mon âme est ceinte d’armatures ;
Et les coups des demains me seront ceux d’hivers.
 
J’ai compris les pensées qui mentent de vos fruits ;
Et vos verbes ont dit clamant en claironnées :
Élaborons, malgré les chocs, nos moissonnées ;
Œuvres et grains vivront quand nous serons détruits.

Paru aussi dans : Le Libertaire (1895-1899), nº 38 (1er-7 aout 1896).