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Brave peuple !

Paillette, Paul


Texte de Paul Paillette (≤1896).


1
Le mendiant se croit pétard.
À Montmartre, en montant la butte,
Du sacré-cœur il goûte l’art
Le brave peuple sans culbute :
L’abbé Garnier est son copain.
Sa parole n’est pas qu’un leurre :
Il lui donne un morceau de pain
Et, là-haut, lui promet du beurre.
 
« Ben quoi ? quante même que ça s’rait du chiqué, i’donne toujours la croûte !
 
Chez les anarchisses y a du boniment. Moi j’m’en fous d’où q’ça d’vient du moment qu’on s’les cale. On pense pas qu’à soi, On a sa figuration à nourrir ; et qu i’sont maries, les mecs, bouffent pas que d’la crasse ! Soyons sales d’abord mais nourrissons not’ viande, tous nos bestiaux i’s y trouvent leur compte. Moi, d’là charité — j’suis comme ceux qui la prêchent — j’en mange d’abord tout c’que j’peux, mais j’abandonne le reste aux sonneurs : Mince ! que j’en ai des pilons après la peau !
 
Pour engraisser ces emmerdeurs.
Vive l’gringal des sacré-cœurs ! »
 
2
Ah ! le peuple, c’est un malin !
Brave ouverier ! Voyez l’usine :
On s’y jalouse le turbin,
C’est à qui courbe mieux l’échine ;
L’anarchiste est un fainéant,
Ses paroles : Vieilles histoires !
Au fond de tout cela : Néant.
Les libertaires sont des poires.
 
« Moi, mon vieux j’suis sondeur ; J’connais q’mon boulot ; du boulot j’en ai jamais assez, m’en faut plein la chambre. J’suis sondeur et j’suis pénard. J’suis tout c’qu’i’ y a d"pénard : J’suis d’une coopérative, quand q’t’en fais partie on t’vend tout au prix coûtant, — pain, vin, du lard, de » haricots, tout l’truc ! — et au bout d’l’année on s’partage encore de l’affure. C’est tout c’qu’i’ y a d’pallas ! J’suis aussi d’une société ou, quand q’t’es malade, t’as trois francs par jour, l’médecin et les médicaments. Ah ! j’suis tout c’qu’i’ y a d’pénard ! J’fais encore partie d’une aute société, eh bien ! un coup q’t’es vioque, q’t’as soixante ans, on t’donne vingt sous par jour jusqu’à ta crevaison et si tu meurs avant t’as rien à payer pour ton enterrement. C’est tout c’qu’i y a d’pallas ! Oui mais, mon vieux, s’agit d’les payer, les sociétés ? Pour que j’paye mes sociétés m’faut du boulot ! Et si les poireaux d’anarchistes la chambardent, la société, c’est i’ eux qui m’en donneront du boulot ?
 
M’faut du boulot ! m’en faut encore !!
J’veux boulonner jusqu’à la mort. »
 
3
Ah ! le le peuple, c’est un roublard !
Il discute la politique
Mais ne fait jamais de pétard,
Ce beau peuple bureaucratique.
Il est calme autant que soumis ;
Un chef est là qui le regarde :
Aux soumis le couvert est mis ;
Du flair et tenons nous eu garde.
 
« Mon cher, il n’y a pas à chercher, tu ne feras rien sans l’Autorité. Il faut un principe autoritaire, une direction, une volonté : Une Main tenant un Sabre.
Du reste il y a toujours un Sabre.
Un Sabre et un Balai.
Le sabre est un effet social, le balai est un effet naturel.
Le sabre est de toute noblesse, le balai est de toute roture.
Mai » comme il arrive parfois — quand le balai a fait trop de poussière — que le sabre est forcé de changer de main,… il est bon de voir venir…
Sentir d’où vient le vent, tout est là.
Comme maxime : Toujours du côté du manche.
Allons viens prendre la bleue…
Vive le Snobisme ! et buvons au Succès d’où qu’il vienne ! »
 
Ah ! ce peuple, c’est un malin,
C’est un pétard, un j’m’enfoutiste !
Brave peuple ! Il prête la main
Quand on arrête un anarchiste.

Tiré dans Tablettes d’un lézard.


Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 36 (18-24 juillet 1896).