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Ennui mondain

Paillette, Paul


Texte de Paul Paillette (≤1896).


Comme des malades contents
Quand la douleur change de siège,
Espérant, pour quelques instants.
Tromper le mal qui nous assiège,
Nous allons, venons, détalions,
ar ci, par là, de gauche à droite.
Sentant toujours, sur nos talons,
Le sombre Ennui qui nous emboite.
Pour le fuir notre effort est vain,
Il est toujours là, dans la place ;
Veut-on le nover dans le vin ?
Plus vivement il nous terrasse.
En famille, au cercle, au café,
Autant morne queue jour de pluie,
Comme le cœur est étouffé !
Ah ! nom de Dieu ! comme on s’ennuie.
On baille à l’église ; au bordel
C’est sans flamme que l’oni consomme ;
Partout, partout, Ennui mortel.
Chez les empaillés c’est tout comme
Chaque ménage régulier
A pied-à-terre à la campagne,
Autre gite, autre mobilier.
Mais partout l’Ennui raccompagne.
Le soir au théâtre, au concert,
Un public ennuyé se presse,
C’est encore l’Ennui qu’on lui sert.
Et que dire qui l’intéresse ?
Le faire penser ? C’est lassant ;
Le malade veut se distraire.
Le faire rire ? Mais bon sang !
Ce labeur n’est pas ordinaire.
Seriez vous Baron ou Daubray,
C’est forcé que le mot se perde
Ou se fige, comme en arrêt,
Devant le monsieur qui s’emmerde ;
On amuse le monsieur gai,
On ne peut rien sur le morose.
Public, on te dit fatigué ?
Ton ennui seul en est la cause.
En ma qualité de doyen,
Pour le chasser, Ô créature !
Je vais t’enseigner le moyen :
Écoute la mère Nature !
Ce monde menteur ne vaut rien,
(Couvert de crimes, il expire.)
Dans la Nature tout est bien,
C’est en son livre qu’il faut lire !
Apprends à vivre, en liberté
Vas tout droit à ta fantaisie ;
Tu trouveras gaieté, santé,
Bonté — vivante poésie —
Beau corps, bon cœur, bon estomac ;
Tu te riras de la fortune,
Ne seras ni mari, ni mac,
Et pourras aimer sans la thune.

Tiré dans Tablettes d’un lézard.


Paru aussi dans : Le Libertaire (1895-1899), nº 32 (20-26 juin 1896).