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Écoute, ma vieille !

Paillette, Paul


Texte de Paul Paillette (≤1896).


Déjà vieux — j’ai cinquante ans d’âge —
Si je comptais me ressaisir.
Retrouver cheveux, beau visage,
Ça pourrait bien n’pas réussir ;
Mais si, dans l’ordre de Nature
N’espérant que me conserver,
J’entrevoyais la sépulture,
Mon vieux, ça pourrait arriver.
 
N’ayant qu’une vie éphémère,
Pour tes vieux jours tu peux grossir
Ton magot. Lendemain, chimère !
Ça pourrait bien n’pas réussir :
On te vole, tu meurs, tout casse.
Voyant le soleil se lever,
Cherche à jouir du jour qui passe :
Tu le tiens ; ça peut arriver.
 
Ton épouse sera fidèle,
Tu s’ras l’seul objet d’son désir,
Y aura q’ton cierg’ dans sa chapelle,
Ça pourrait bien n’pas réussir ;
Mais, mon vieux, que l’voisin d’en face
Ou d’à-côté vienne à trouver
Le joint pour entrer dans la place,
C’est nature, ça peut arriver.
 
T’en fais des enfants pour la France !
Tu les fabrique’ avec plaisir
Et compt’ sur leur reconnaissance,
Ça pourrait bien spas réussir ;
Mais, sitôt qu’ils pourront le faire,
Pour être libres s’esquiver
Sans plus s’occuper de leur père,
C’est natur’ ; ça peut arriver.
 
Pour être plus heureux tu nommes
Des faiseurs de lois à loisir ;
Ton bonheur fait par d’autres hommes
Ça pourrait bien n’pas réussir :
Penser à faire leur affaire
Avant la tienne, t’entraver,
Toi leur électeur débonnaire,
Mon vieux, ça pourrait t’arriver.
 
Bon gourdeau fait d’obéissance,
Quand la mort viendra te saisir,
Du Paradis t’as l’espérance !
Ça pourrait bien n’pas réussir.
Après avoir subi le cogne
Et les lois, quand tu vas crever
N’être qu’une simple charogne,
Mon vieux, ça pourrait t’arriver.
 
Tu ballades toujours un rêve !
Tu vas escomptant l’avenir
Et, mortel, tu peines sans trêve ;
Ça pourrait bien n’pas réussir.
Mais, sans combinaisons pesantes,
Chez maman Nature trouver
Au jour le jour joies suffisantes,
Mon vieux, ça pourrait arriver.

Tiré dans Tablettes d’un lézard.


Paru aussi in : Le Libertaire (1895-1899), nº 19 (21-28 mars 1896).