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Le Couperet

Voglet, Prosper


Texte (monologue) de Prosper Voglet (≤1889).


1
Je voudrais que les hommes,
Au grand siècle où nous sommes,
Pour conquérir la paix,
Sans rancune, sans haines,
Laissant tomber leurs chaines,
S’unissent pour jamais !
 
2
Des sentiers frais, ombreux de l’antique Sicile
Aux climats glacés des Lapons,
À cette heure, l’Europe est à peu près tranquille
Et ne tonnent pas les canons ;
Mais, des cités aux chaumières rustiques,
Nous entendons les douleurs frénétiques
Briser les cœurs sous les haillons.
 
3
D’ailleurs, les rois sont prêts à ravager la terre ;
Si vis pacem para bellum !
Le prêtre, qui prévoit une prochaine guerre,
Dira son plus beau te deum.
En attendant, à tout peuple d’Europe,
Une misère, absorbante, interlope,
Impose son ultimatum.
 
4
Où sont la liberté, le droit et la justice ?
Nos gouvernants bavent dessus
Nous vous laissons la paix, disent-ils (paix factice) ;
Peuples, que voulez-vous de plus ?
Dans vos taudis où suintent les murailles
Si l’âpre faim fait grouiller vos entrailles,
Qu’importe, nous sommes repus !
 
5
Là-bas, on chôme, ailleurs, on travaille sans trêve
Et nulle part, assez de pain !
Ne tentez pas de faire élever par la grève
Le taux d’un salaire inhumain.
Vos exploiteurs ont pour eux les ministres
Dont les agents provocateurs sinistres,
Sont les complices, c’est certain.
 
6
Si la grève ne peut être à temps réprimée,
Si le brutal gendarme doit
Reculer, vos seigneurs obligeront l’armée
À se ruer contre le droit.
Les échappés aux balles meurtrières,
Pour de longs jours trouveront leur litière
Dans les prisons, loin de leur tort.
 
7
Oui, c’est dans un élan sublime, pacifique,
Que les peuples voudraient s’unir,
Pour marcher haut le front vers l’ère munifique,
Vers le bonheur dans l’avenir !
Mais sans lutter contre l’excès de rage
Du despotisme amoureux du carnage,
Ils ne sauraient y parvenir.
 
8
Nul de peux arrêter les sanglantes tempêtes
Qui doivent, purgeant l’univers,
Envoyer au charnier des millions de têtes
De bourreaux cruels et pervers !
Jusqu’à ces temps, peuples, tressaillez d’aise ;
Le couperet du grand quatre-vingt-treize
Doit mettre un terme à vos revers !
 
9
Après, parmi les hommes,
Plus de palais ici, et là-bas de vieux chaumes,
Mais partout règnera l’égalité, la paix,
Partout, sans dieu ni maîtres,
Le joie et le bien-être
Règneront pour jamais.

Paru aussi in : Le Drapeau noir : organe communiste anarchiste (1889-1889), nº 7 (20 juillet 1889).