Je voudrais que les hommes,Au grand siècle où nous sommes,Pour conquérir la paix,Sans rancune, sans haines,Laissant tomber leurs chaines,S’unissent pour jamais !Des sentiers frais, ombreux de l’antique SicileAux climats glacés des Lapons,À cette heure, l’Europe est à peu près tranquilleEt ne tonnent pas les canons ;Mais, des cités aux chaumières rustiques,Nous entendons les douleurs frénétiquesBriser les cœurs sous les haillons.D’ailleurs, les rois sont prêts à ravager la terre ;Si vis pacem para bellum !Le prêtre, qui prévoit une prochaine guerre,Dira son plus beau te deum.En attendant, à tout peuple d’Europe,Une misère, absorbante, interlope,Impose son ultimatum.Où sont la liberté, le droit et la justice ?Nos gouvernants bavent dessusNous vous laissons la paix, disent-ils (paix factice) ;Peuples, que voulez-vous de plus ?Dans vos taudis où suintent les muraillesSi l’âpre faim fait grouiller vos entrailles,Qu’importe, nous sommes repus !Là-bas, on chôme, ailleurs, on travaille sans trêveEt nulle part, assez de pain !Ne tentez pas de faire élever par la grèveLe taux d’un salaire inhumain.Vos exploiteurs ont pour eux les ministresDont les agents provocateurs sinistres,Sont les complices, c’est certain.Si la grève ne peut être à temps réprimée,Si le brutal gendarme doitReculer, vos seigneurs obligeront l’arméeÀ se ruer contre le droit.Les échappés aux balles meurtrières,Pour de longs jours trouveront leur litièreDans les prisons, loin de leur tort.Oui, c’est dans un élan sublime, pacifique,Que les peuples voudraient s’unir,Pour marcher haut le front vers l’ère munifique,Vers le bonheur dans l’avenir !Mais sans lutter contre l’excès de rageDu despotisme amoureux du carnage,Ils ne sauraient y parvenir.Nul de peux arrêter les sanglantes tempêtesQui doivent, purgeant l’univers,Envoyer au charnier des millions de têtesDe bourreaux cruels et pervers !Jusqu’à ces temps, peuples, tressaillez d’aise ;Le couperet du grand quatre-vingt-treizeDoit mettre un terme à vos revers !Après, parmi les hommes,Plus de palais ici, et là-bas de vieux chaumes,Mais partout règnera l’égalité, la paix,Partout, sans dieu ni maîtres,Le joie et le bien-êtreRègneront pour jamais.
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Le Couperet
Voglet, Prosper
Texte (monologue) de Prosper Voglet (≤1889).
Paru aussi dans Le Drapeau noir : organe communiste anarchiste (1889-1889), nº 7 (20 juillet 1889).