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Le Couperet

Voglet, Prosper


Texte (monologue) de Prosper Voglet (≤1889).


Je voudrais que les hommes,
Au grand siècle où nous sommes,
Pour conquérir la paix,
Sans rancune, sans haines,
Laissant tomber leurs chaines,
S’unissent pour jamais !
 
Des sentiers frais, ombreux de l’antique Sicile
Aux climats glacés des Lapons,
À cette heure, l’Europe est à peu près tranquille
Et ne tonnent pas les canons ;
Mais, des cités aux chaumières rustiques,
Nous entendons les douleurs frénétiques
Briser les cœurs sous les haillons.
 
D’ailleurs, les rois sont prêts à ravager la terre ;
Si vis pacem para bellum !
Le prêtre, qui prévoit une prochaine guerre,
Dira son plus beau te deum.
En attendant, à tout peuple d’Europe,
Une misère, absorbante, interlope,
Impose son ultimatum.
 
Où sont la liberté, le droit et la justice ?
Nos gouvernants bavent dessus
Nous vous laissons la paix, disent-ils (paix factice) ;
Peuples, que voulez-vous de plus ?
Dans vos taudis où suintent les murailles
Si l’âpre faim fait grouiller vos entrailles,
Qu’importe, nous sommes repus !
 
Là-bas, on chôme, ailleurs, on travaille sans trêve
Et nulle part, assez de pain !
Ne tentez pas de faire élever par la grève
Le taux d’un salaire inhumain.
Vos exploiteurs ont pour eux les ministres
Dont les agents provocateurs sinistres,
Sont les complices, c’est certain.
 
Si la grève ne peut être à temps réprimée,
Si le brutal gendarme doit
Reculer, vos seigneurs obligeront l’armée
À se ruer contre le droit.
Les échappés aux balles meurtrières,
Pour de longs jours trouveront leur litière
Dans les prisons, loin de leur tort.
 
Oui, c’est dans un élan sublime, pacifique,
Que les peuples voudraient s’unir,
Pour marcher haut le front vers l’ère munifique,
Vers le bonheur dans l’avenir !
Mais sans lutter contre l’excès de rage
Du despotisme amoureux du carnage,
Ils ne sauraient y parvenir.
 
Nul de peux arrêter les sanglantes tempêtes
Qui doivent, purgeant l’univers,
Envoyer au charnier des millions de têtes
De bourreaux cruels et pervers !
Jusqu’à ces temps, peuples, tressaillez d’aise ;
Le couperet du grand quatre-vingt-treize
Doit mettre un terme à vos revers !
 
Après, parmi les hommes,
Plus de palais ici, et là-bas de vieux chaumes,
Mais partout règnera l’égalité, la paix,
Partout, sans dieu ni maîtres,
Le joie et le bien-être
Règneront pour jamais.

Paru aussi dans Le Drapeau noir : organe communiste anarchiste (1889-1889), nº 7 (20 juillet 1889).