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Amour harmonique

Paillette, Paul


Texte de Paul Paillette (1887).


1
Moi je soutiens que l’homme est bon, j’en ai la preuve.
Pourquoi vous récrier, l’idée est-elle neuve ?
Est-il donc bien prouvé que l’homme soit méchant ?
Non, car Amour ! Amour ! voilà l’éternel chant,
La grande nourriture et du corps et de l’âme ;
Et si tu croules, vieil ordre social infâme,
C’est que nous manquons tous ou de pain ou d’amour ;
C’est que ton égoïsme aux serres de vautour
Nous fait mourir en nous arrachant les entrailles.
Cœurs lâches, asservis à des ventres canailles,
Au fond je vous plains plus encor que je vous hais.
Vous vivez moins bien que les fauches des forêts ;
Égoïstes et vains le sont-ils ? Ils sont braves
S’ils sont féroces ! Ils sont libres, vous esclaves !
Car il n’en est pas un de libre entre vous tous
Pas plus qu’il n’en est un d’heureux, entendez-vous ?
Alors ce monstrueux mensonge, pourquoi faire ?
 
2
Ta vertu femme-esclave : Amour effet contraire !
De Famille et Patrie admire les tableaux,
Monstrueux composé de larme et tombeaux ;
Mais cela sert si bien Monsieur Tyran ton maître !
 
3
Si tu voulais ouvrir plus large la fenêtre !
Si tu voulais fouiller plus loin dans l’horizon,
Homme ! laisser parer ton cœur et ta raison ;
Du Vrai, du Bien, du Beau, tu saurais les extases,
Tu chanterais la loi d’amour aux simples phrases ;
Dès lors tu cesserais d’être si malheureux.
Arrache de ton cœur leur amour cancéreux,
Source horrible d’un pus d’égoïsme qui ronge !
Que le culte du Vrai remplace le mensonge.
Ta souffrance est à moi, mon bonheur est le tien ;
Physiquement notre être a le même lien ;
Du mal d’un petit doigt tout le corps s’inquiète,
Comment du deuil de l’un l’autre ferait-il fête ?
Ton bonheur a son nid dans le bonheur commun ;
La loi dit : Un pour tous ! et puis : Tous pour chacun !
En dehors de ce cercle il n’est point d’harmonie.
Le bonheur, la raison d’être de notre vie,
Où le trouveras-tu, si ce n’est dans l’amour !
Vas-tu nourrir un corps bestial au jour le jour ?
Ce n’est plus vivre alors, c’est un affreux suicide !
On ne vit qu’en aimant. Veux-tu mourir ? Décide.

Chanson ou monologue paru dans L’Autonomie individuelle (1887-1888), p. 72-73 (nº 5, sept.-oct. 1887).