D’autres, légers enfants, joueurs et tapageurs,Riants dans la clarté de leur jeunesse éclose,S’énivrant de lueurs, de sons et de couleurs,Vont, couronnés de fleurs,Parmi les chants en fête et les lys et les roses.Tout leur est paix et joie, et leurs rêves frivolesPassent devant leurs yeux émerveillés et doux ;Et leurs vaines parolesSont des chants qui consolent,Et leurs voix sont jolies et leurs rythmes sont fous.Des femmes passent en d’enivrantes musiquesEt ce sont celles que leurs désirs attendaient :Voici les fiancées aimées et chimériquesDont les vêtements sont, longs, clairs et magnifiques,Gais comme des bouquets.Voici les courtisanes au rire fantasqueEt les reines cruellesQue suivent des bouffons, des pages et des masques,Et les enfants troublés tendent leurs mains vers elles…D’autres se sont figés en hiératiques posesEt de leurs belles mains, avec des gestes las,Préparent des autels et des apothéosesPour adorer des dieux auxquels ils ne croient pas.D’autres ont clos leurs yeuxEt de leur seul orgueil ont repeuplé les cieux.Les insultes de l’homme et les cris de la fouleNe montent pas jusqu’à leur front majestueux,Et comme un flot qui rouleLente s’en va leur vie en chants harmonieux.Mais nous — ô toi ! mon frèreEt moi qui t’aime — nous qui souffrons tous les deux,Pour n’avoir pas voulu nous jouer des mystères,Nous suivrons, voyageurs tristes et solitaires,Les chemins hasardeux.Les matins lumineux, les soirs calmes et beauxN’enchantent plus nos yeux qu’ont blessés les ténèbres,Nos yeux qui se sont clos,Et la nuit froide et méchante, la nuit funèbreÉcoute nos sanglots.Qu’importe ! Nous irons, traînant péniblementNos pieds ensanglantés par les routes cruelles ;Les beaux enfants riront de nos larmes. Les bellesNous montreront d’un doigt railleur à leurs amants,Les pierres voleront vers nous, et les huées…Mais les hommes mauvais et les prostituéesSont nos frères souffrants et nos sœurs lamentables.De nos saignantes mains nous toucherons leur fronts,Ils s’agenouillerontEt béniront enfin notre âme secourable.Et note âme sera leur âme ! Et nos fronts blancsRayonneront dans l’ombre merveilleusement !Et l’amour guidera notre marche incertaineEt nos pas chancelantsVers les printemps futurs et vers l’auve lointaine.Et, dans les temps heureux, les hommes advenusSur la terre joyeuseDiront à leurs enfants, en des chansons pieuses,Nos rêves glorieux et nos cœurs ingénus.
1893