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Ne te prostitue pas

Deuguiber, Edmond


Texte et musique d’Edmond Deuguibert (1913).


1
Ne te prostitue pas, fillette du village,
Toi qui n’a pas connu les malheurs d’ici-bas ;
Sois la fille d’amour d’un pur et doux langage,
Vers la saine raison guide tes premiers pas.
Dans ta simplicité, agis en conscience ;
Loin de tout préjugé, vis d’un cœur généreux,
Mais il faut au cerveau donner l’expérience
Pour combattre l’erreur qui tue le malheureux.
 
2
Ne te prostitue pas, toi qui vas vers l’usine,
Ne sois plus exploité dans ton effort vaillant,
Paysan prends la terre, ouvrier la machine,
Tout chacun doit produire et vivre en travaillant.
Travailler librement est la seule œuvre sage,
Dans la communauté, l’avenir est fatal.
Les peuples s’uniront pour vaincre l’esclavage
Et prendre les trésors aux dieux du Capital.
 
3
Ne te prostitue pas, même en le mariage,
Femme, pour ton bonheur, garde ta liberté ;
Dans l’étau de la loi, il n’y a qu’esclavage,
Seul l’amour libre est beau par sa sincérité.
Sous un masque trompeur, combien brisent leur vie !
Un esprit clairvoyant agit avec raison ;
Ne te sacrifie plus, laisse l’hypocrisie
Pour ceux qui perpétuent cette absurde prison.
 
4
Ne te prostitue pas pour tuer ton semblable,
Toi qui, dans ton foyer, connus tant de malheurs.
L’amour de la patrie est chose abominable ;
Seul l’amour des humains peut-nous rendre meilleurs.
Patrie et religion sont un même programme,
Ces institutions font des cœurs inhumains.
Ne sois plus ce soldat, qu’une patrie réclame,
Qui cesse d’être un homme pour se faire assassin !
 
5
Ne te prostitue pas, électeur sans scrupule,
Ne sois plus l’ignorant qui méprise ses droits,
Ne sois plus le votard, l’innocente crapule,
Qui maintient au pouvoir des fabricants de lois.
Qu’importe le tyran qu’un peuple abruti nomme
Reste bien convaincu que toute autorité
Ne peut influencer que les brutes, en somme,
Qui font représenter leur imbécilité.
 
6
Ne te prostitue pas, toi qui vas par le monde,
Suis le fier révolté contre les temps présents ;
La prostitution est une chose immonde
Qui fait de l’être humain un être malfaisant.
Lâche est la résigné qui va suivre l’apôtre.
Homme, tu dois toujours, dans ton évolution,
Considérer partout qu’un homme en vaut un autre,
Et que sans liberté, tout est prostituable.

juillet 1913


Paru aussi — comme chanson inédite — dans : L’Anarchie (1905-1914), nº 432 (24 juillet 1913)