Gueux d’hiver

Ah ! gueux d’hiver, le v’là qui r’vient

Pour fair’ d’la mistoufle au pauv’ monde !

Où qu’ t’étais, bandit, t’étais bien,

T’avais du champ, la terre est ronde.

De m’garer d’toi j’suis pas foutu.

Sans feu ni lieu, sans sous ni maille…

Cristi ! fait froid dans la tripaille !

Ah ! gueux d’hiver, pourquoi r’viens-tu ?

 

Quand t’es pas là, c’est la gaieté,

L’soleil qui fait aimer la vie ;

Mais dès qu’a disparu l’été,

C’est l’ombre et la mélancolie.

Si c’est qu’tu s’rais pas si têtu,

Comprendrais qu’i’ faut qu’tu t’en ailles…

Cristi ! fait froid dans la tripaille !

Ah ! gueux d’hiver, pourquoi r’viens-tu ?

 

Songe à tous ceux qui sont comm’ moi,

Qu’ont pas d’demeure et la dent creuse ;

Y sont des milliers dans l’émoi

De ta venu’ calamiteuse.

D’nous balayer comme un fétu,

T’auras tôt fait, t’es si canaille…

Cristi ! fait froid dans la tripaille !

Ah ! gueux d’hiver, pourquoi r’viens-tu ?

 

C’est la mort qui va s’en payer !

Suffira pas à la besogne.

Sa faux dans l’air va tournoyer,

Rognant sans trêve et sans vergogne.

Un vrai dégel des va-tout-nu,

Cent fois pir’ que par la mitraille !…

Cristi ! fait froid dans la tripaille !

Ah ! gueux d’hiver, pourquoi r’viens-tu ?

 

Les rich’s, en leurs logis bien clos,

De tes rigueurs n’on rien à craindre.

Mais nous qui n’avons rien su’ l’ dos,

Not’ sort, hélas ! est bien à plaindre.

L’pressentiment m’dit qu’j’ai vécu,

Que j’suis mûr pour les épousailles…

Cristi ! fait froid dans la tripaille !

Ah ! gueux d’hiver, pourquoi r’viens-tu ?