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Ce que dit le pain

Pottier, Eugène


Texte d’Eugène Pottier (1867). Sur l’air trad. : « Ah ! daignez m’épargner le reste ! ».


À Léon Ottin.

J’entends les plaisants répéter :
Que dit le pain quand on le coupe ?
Bien aisé serait d’écouter.
Rien d’éloquent comme la soupe.
Fleur de froment ou sarrasin
À notre estomac qu’il convie,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : « Mangez, je suis la vie ! »
 
Qui sait ce que coûte le blé,
Hors les bœufs reprenant haleine
Et l’homme au visage brûlé
Qui creuse un sillon dans la plaine ?
Au grand monde inutile et vain
Qui, sans travailler le savoure,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : « Gloire au bras qui laboure ! »
 
Le progrès veut nos dévouements,
But large impose tâche amère.
Hélas ! tous les enfantements
Font saigner les flancs de la mère.
Pour stimuler l’effort humain,
Pour retremper une âme veule,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : « J’ai passé sous la meule ! »
 
Travailleur, quand verras-tu clair ?
Ta boulangère est dame Usure :
Mais pas plus que le jour et l’air
Le pain ne veut qu’on le mesure.
Au long vertige de la faim,
Quand la misère est condamnée,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : « Fais ta grande fournée ! »
 
Nous pompons nos gouttes de sang
Dans les sucs de la nourriture ;
Notre corps, toujours renaissant,
S’assimile ainsi la nature.
Quand il devient par cet hymen
Cerveau qui médite et chair rose,
Savez-vous ce que dit le pain ?
Savez-vous ce que dit le pain ?
Il dit : « C’est mon apothéose ! »

1867.


Paru aussi in : Pottier, Eugène. — Quel est le fou ? : chansons. — Paris : Oriol, 1884. — 168 p. — P. 143-144

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Dentu, 1887 (p. 57-58).

Paru aussi in : Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Comité Pottier, [1908] (p. 54-55).

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. Brochon, Pierre (éd.). — Œuvres complètes. — Paris [France] : Maspero, 1966 (p. 85).