1Celui qui baptisa de multitude vileLe paysan et l’ouvrier ;Dont l’accent venimeux, la langue de reptileCrocha la bave au peuple entier ;Ce serpent de tribune, et bien oui ! je l’avoue,A constaté la vérité.Plèbe ! qu’avons-nous su, sinon tendre la joueAux soufflets de l’autorité ?Aujourd’hui lui même encor, dans l’exil oit nous sommesSous le sceptre d’or des bourgeois,Nous baissons le museau, meute de chiens ou d’hommes,Et, — saignants — leur léchons les doigts.Eh ! quoi ! sous l’épiderme où s’allongent nos fibres libres,N’est-il ni ressort ni vigueur ?Ne saurons-nous jamais — portant haut nos frontsMordre à la gorge de l’exploiteur ?Combien de temps encor faut-il qu’on te crsvache,Dis ? vil Meurt-de-Faim-et-de-Froid !Qu’au chenil du servage on te rive à l’attacheQu’on rogna ton os et ton Droit,Pour que tu n’ailles plus la queue entre tes jambesLe poil rabattu sur la peau,Aux genoux des bourgeois japper des dithyrambes,T’aplatir ou faire le beau ?2Des pécheurs, au retour du banc de Terre-NeuveM’ont raconté le fait suivant :Chiens et souffre-douleurs ! que chacun s’en émeuve.Travailleurs ! songez-y souvent…« Voiturant le poisson, des traineaux sur la glace,« Ont pour attelage des chiens.« Pour assouplir ceux-ci, les coups et la menace,« La muselière et les liens ;« Tout cela ne serait encor que causes vaines.« Mais on les dompte par la faim,« Un sang trop rigoureux bouillonnait dans leurs veines,« Le jeûne l’appauvrit enfin,« Alors ces animaux, — attentifs et dociles« Aux jurons de leurs conducteurs,« Le harnais imprimé sur leurs poitrails serviles,« Le poil dégouttant de sueurs,« Les pattes et le ventre enfoncés dans la neige« Sous le fouet ou sous l’aiguillon« Comme la multitude au joug des privilèges ! —« Tracent leur pénible sillon« C’est qu’au bout du chemin est la maigre pitance« L’os que le Maître ou le Bourgeois« À la meute affamée octroi en récompense« De ses labeurs ou de ses abois… »3Pourquoi toujours des noms ! meute de Prolétaires !Pourquoi des conducteurs, des chefs ?Ces bourgeois, ces meneurs révolutionnairesDont tu flaires les chauds reliefs ;Ces malices dans l’exil te renverseraient encoreS’ils ressaisissaient le.pouvoir.Le fer triangulaire et le bronze sonoreFeraient rentrer dans le devoirQuiconque hurlerait réformes sociales.Comme aux barricades de Juin,Le sang submergerait les pavés et les dalles,Pas un égout qui n’en fut plein…Eh ! vois : — chiens de l’exil ! Manœuvre ou terreneuve !Qu’on-t-ils fait pour toi, ces ventrus !Que tu chômes ou non ; qu’il gèle, vente ou pleuveIls jouissent !… Vive Malthus !Et toi ronge de poux et couché sur lu paille,Abruti par le crasse et la faim. —Tu vas, en chancelant de muraille en muraille,Boire au Public-House voisinLes quatre on cinq shellings qu’on te jette en pâture.— Le pale pollué de Porter,Alors aux pieds d’un chef tu vautres ton allure,Tu grognes pour un dictateur…C’est là ce qu’on voulait ! — Du travail, un asile :Et qui donc eût pu t’opprimer ?Pour dompter ton cœur d’homme et le rendre servile ;Ils n’ont songé qu’a t’affamer…Politiques ou chefs, industriels ou maîtres ;Allez bourgeois, je vous connaisVous n’avez rien au cœur que des pensées de traîtresJe vous méprise et je vous haisEt dussé-je sentir le fouet de vos rancunesM’entrer jusqu’au sang dans les chairs,N’avoir à grignoter que le timon des dunes !Chien hargneux — pour crocs, j’ai mes vers.
(Jersey. — Janvier 1853)