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La Canaille

Bouvier, Alexis


« La Chanson des gueux » ou « La Canaille », texte d’Alexis Bouvier (1863). Musique (1865) par Joseph Darcier (1819-1883).


Version originale

Plus loin, une version publiée pendant ou après la Commune de Paris

Dans la vieille cité française
Existe une race de fer
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais ils n’ont qu’un taudis
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
Ce n’est pas le pilier du bagne,
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau
Gagne en suant son morceau de pain.
C’est le père enfin qui travaille
Des jours et quelques fois des nuits
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui sans souffler rime rêveur,
Un sonnet à celle qu’il aime
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille
Qu’il loge et qu’il a des habits
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer, à main nerveuse,
Qui sort d’on ne sait où,
Toujours avec esprit vous raille
Se riant de votre mépris.
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
C’est l’enfant que la destinée
Force à rejeter ses haillons
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans vos bataillons.
Chair à canon de la bataille,
Toujours il succombe sans cris…
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères les vieux vagabonds
Attaquant en quatre-vingt treize
Les bastilles dont les canons
Défendaient la vieille muraille
Que de trembleurs ont dit depuis
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux
Les autres martèlent l’enclume
Et se saoulent pour être heureux,
Car la misère en sa tenaille
Fait saigner leurs flancs amaigris…
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !.
 
Enfin c’est une armée immense
Vêtue en haillons, en sabots
Mais qu’aujourd’hui la vieille France
Les appelle sous ses drapeaux
On les verra dans la mitraille,
Ils feront dire aux ennemis :
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !

Version post-Commune de Paris

Dans la vieille cité française
Existe une race de fer
Dont l’âme comme une fournaise
A de son feu bronzé la chair.
Tous ses fils naissent sur la paille,
Pour palais ils n’ont qu’un taudis,
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
Ce n’est pas le pilier du bagne,
C’est l’honnête homme dont la main
Par la plume ou le marteau
Gagne en suant son morceau de pain.
C’est le père enfin qui travaille
Des jours et quelquefois des nuits,
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
C’est l’homme à la face terreuse,
Au corps maigre, à l’œil de hibou,
Au bras de fer, à main nerveuse,
Qui sort d’on ne sait où,
Toujours avec esprit vous raille
Se riant de votre mépris,
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
C’est l’artiste, c’est le bohème
Qui sans souper rime, rêveur,
Un sonnet à celle qu’il aime
Trompant l’estomac par le cœur.
C’est à crédit qu’il fait ripaille
Qu’il loge et qu’il a des habits,
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
C’est l’enfant que la destinée
Oblige à quitter ses haillons
Quand sonne sa vingtième année,
Pour entrer dans nos bataillons.
Chair à canon, dans la mitraille
Toujours il succombe sans cris,
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
Les uns travaillent par la plume,
Le front dégarni de cheveux ;
Les autres martèlent l’enclume
Et se soûlent pour être heureux,
Car la misère en sa tenaille
Fait saigner leurs flancs amaigris,
 
C’est la canaille,
Et bien, j’en suis !
 
Ils fredonnaient la Marseillaise,
Nos pères les vieux vagabonds
Attaquant en quatre-vingt-treize
les bastilles, dont les canons
Défendaient la vieille muraille.
Que d’étrangleurs ont dit depuis :
 
« C’est la canaille !
Et bien, j’en suis ! »
 
Enfin c’est une armée immense
Vêtue en haillons, en sabots ;
Mais que demain le peuple s’élance
Pour vender ses rouges drapeaux
On les verra dans la mitraille,
Dire aux assassins de Paris :
 
« C’est la canaille ?
Et bien, j’en suis ! »

Parue, pour la version « communarde » dans : Biolley, Georges (éd.) . — Les Chants du peuple. — Genève : Imprimerie jurassienne, 1888. — Fascicule nº 1 (p. 15)

Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 43-44).


Record : L’Esprit anarchiste : de la Commune à Mai 68, chansons anarchistes et pacifiques, 1820-1990 (2013)