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Prophétie

anonyme


Texte [monologue] anonyme (vers 1900).


Riches, qui maintenez le peuple dans la gêne,
Qui, gavés et repus, lui mesurez le pain
Et le tenez captif comme l’ours qu’on enchaîne,
Vous servant de ses bras pour faire votre gain ;
Bourgeois, agioteurs, patrons durs et rapaces
Qui faites l’ouvrier pauvre et l’abrutissez ;
Pantins, vous qui flattez la plèbe et trahissez
La cause des petits sitôt grimpés aux places ;
Pitres enjuponnés, qui prêchez à la foule
Le mépris de soi-même et des biens d’ici-bas
Pour que le meurt-de-faim ne se retourne pas
Contre le jouisseur qui l’exploite et le foule ;
Vous tous, renards et loups de la société
Qui passez votre vie à dépouiller les autres
Et croquez nos produits comme s’ils étaient vôtres ;
Vous n’irez pas plus loin ; la confiance a sombré…
— L’esprit de la révolte a secoué les masses ;
Et le réveil s’est fait dans leur cœur engourdi ;
Le peuple s’est dressé clairvoyant et hardi,
Tout prêt à vous donner le prix de vos grimaces.
L’ouvrier ne veut plus de votre égalité
Qui fait les uns ventrus et les autres étiques,
Qui donne eux fainéants des palais magnifiques,
Quand celui qui les fait est à peine abrité.
Quand il vous demandait du travail et du pain,
Vous avez répondu par le sabre et le bagne !…
Ô grecs des grands tripots, vous faites charlemagne
Après avoir réduit vos dupes à la faim !
Vous verrez s’écrouler sous un effort sublime
De tous ces affamés que la haine rend forts,
Le vieux monde étayé par la fraude et le crime ;
Et que ne défendront vos fusils et vos forts.
Peut-être oserez-vous tendre une main traîtresse.
Vers ces moutons d’hier, en tigres transformés ;
Mais ils resteront sourds et les poignets fermés
Comme ils vous ont trouvés dans leurs jours de détresse.
— Rien ne subsistera de la vieille machine,
Rien des vieux abus, rien des dogmes dits sacrés,
Et l’on ne verra plus l’homme courber l’échine
Devant des affameurs et des pantins mitrés.
De cet ébranlement colossal de la terre,
Qui sapera le mal jusqu’en ses fondements,
Des débris du pouvoir, engloutis et fumants,
Sortira, juste et fort, le monde égalitaire.

Paru aussi in : Les Chants du peuple. — Paris : [P. Delesalle] aux bureaux des Temps nouveaux [puis] La Publication sociale. — nº 11 [1902, juil.].

Paru aussi in : Les Chants du peuple. Série nouvelle ; nº 1. — Paris : Temps nouveaux, [ca 1902]. — N.p.