Au citoyen Charbonnel, directeur de La Raison
1Le soleil qui me cuit la peauRend ma tâche plus dureEt la sueur comme un ruisseauCoule sur ma figure,Depuis quatre heures, ce matinJe fauche par la plaine,Pour un maigre morceau de painAh ! morbleu, que de peine.Siffle, siffle ma faux ! toujours, encor,Et que ta fine lameAu chaud soleil de MessidorBrille comme une flamme !2Le prêtre dit au paysanLorsque la grange est pleineIl faut bénir le Tout PuissantQui fait blondir la plaineDire de prêtre : boniment !Et croyance : bêtisePour moi, ces sornettes, autantEn emporte la brise !Siffle, ma faux ! Quand la moissonÉgaye nos chaumières,Nous le devons à la saisonEt non pas aux prières !3Près de moi, m’aidant de son mieux,A la moisson dernièreJ’avais mon fils, un gas joyeuxComme on en fait plus guère.Ah tous les deux, de blonds épisLes superbes fauchées !Mais la caserne me l’a prisPour de longues années !Siffle, ma faux ! De meilleurs joursViendront pour la canaille,Nos gas ne seront pas toujours,De la chair à mitraille !4Pendant que je trime, éreinté,Courbant ma pauvre échine,Dans sa vaste propriétéLà-bas, sur la colline ;Le riche, narguant les autans,Chante et fait bonne chère,Pourquoi cela quand tant de gensMeurent dans la misère ?Siffle, ma faux ! Dans le lointainDéjà, l’orage gronde,Il faudra bien qu’un jour le painPousse pour tout le monde.