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Chanson hivernale

Grandidier, Louis


Texte de Louis Grandidier (1899).


Bon dieu, bon sang,
Gelant le sang
Le vent par tous les trous chahute.
L’hiver est maudite saison
Qui trop hâte la crevaison
De ceux qui n’ont pas de cahute.
Gueux de la route
C’est la déroute.
 
Bon dieu, bon sang,
Que le puissant,
Le riche à qui bonheur abonde,
Par tous les temps est bienheureux,
Sans s’occuper du malheureux
Qui dans sa marche vagabonde,
Sur la grand’route
Cherche sa croûte.
 
Bon sang, bon dieu,
Le gars sans pieu
Qui par ce sacré froid trimarde,
À bien peine à trouver du pain ;
Pour lui, vrai, ça sent le sapin.
Bonne affaire pour la Camarde,
Quand sur la route
Tombe un sans croûte.
 
Bon sang, bon dieu ;
Le pauvre fieu
Sous ses minces haillons de toile
Au grand froid ne peut résister ;
Sans nul être pour l’assister
Il va par la nuit sans étoile
Crever sans doute
Seul sur la route.
 
Bon dieu, bon sang,
Pauvre passant
Sur cette terre où rien ne dure :
N’auras-tu donc jamais compris
Que ton bonheur, d’autres l’ont pris ;
Puis t’ont jeté sans procédure,
Sans qu’il leur coûte,
Sur la grand’route.

Prison de Fresnes, 1er décembre 1899.


Paru aussi in : Le Père Peinard, 3e série, nº 8 (5-12 mars 1900).