À mon ami Alphonse Humbert.
Partout l’on sent comme une odeur de poudre,
L’orage vient et gronde à l’horizon.
De ce point noir va-t-il sortir la foudre ?…
Chacun en cause au seuil de sa maison,
Rassurez-nous, les trembleurs du vulgaire ;
Auprès du feu, vous pourrez vous asseoir ;
D’ici longtemps nous n’aurons pas la guerre :
À l’Élysée on a dansé ce soir.En proie aux rats, le budget crie et souffre.
Épouvanté, chacun, de jour en jour,
Du déficit voit s’élargir le gouffre ;
Honneur, fortune y plongent tour à tour.
« Char de l’État », roule, poursuis la route ;
Fouette, cocher, sans souci du ciel noir ;
Tu n’es pas prêt de faire banqueroute :
À l’Élysée on a dansé ce soir.Sur le pavé, l’ouvrier sans ouvrage
Laisse tomber son vieux corps affaibli.
Dans l’atelier, par suite du chômage„
L’outil s’ennuie et dort sur l’établi.
La mère dit : « Faut-il que l’enfant crève !
Mais la fabriqua est donc un échaudoir ! »
Console-toi si ton homme fait gréve :
À l’Élysée on a dansé ce soir.Paillasse, va, saute pour tout le monde !
Dansez, valsez, les faux républicains !
Quand viendra Mars, nous mêlant à la ronde,
Nous vous prendrons vos masques d’arlequins.
Nous prendrons tout, les obscurs, les illustres :
Dans vos fauteuils nous viendrons nous asseoir ;
Sur vos tapis somptueux, sous vos lustres,
À l’Élysée on dansera le soir !
13 février 1887