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La République honnête

Pottier, Eugène


Texte d’Eugène Pottier (1848).


Robert Macaire a cinquante ans.
Il fit sa proie au bon temps.
À la Bourse, gras et vermeil,
Il fait la pluie et le soleil.
Modéré féroce, il répète :
Vive la République honnête !
Et Bertrand dit de son côté :
Vive la Famille, et la Propriété !
 
En expropriant tels et tels,
Il eut dix maisons, trois hôtels,
Par lui, l’entrepreneur miné,
Fait banqueroute, est condamné,
Puis meurt sans ressource à la Dette.
Vive la République honnête
L’hypothèque a son bon côté…
Vive la Famille et kt Propriété !
 
En quarante-sept, dans les blés,
Ses capitaux, se sont doubles.
On peut spéculer sur le pain ;
Mort ou loi font luire la faim !
Ils organisent la disette,
Vive la République honnête,
Au capital sa liberté…
Vive la Famille et la Propriété !
 
La famille, il en suit le rit
Chez les vertus de Breda Street,
Floué, grugé, le diable aidant,
Il se rattrape en marchandant
Les filles sans pain qu’il achète :
Vive la République honnête
Sérail au rabais recruté…
Vive la Famille et la Propriété !
 
Macaire épouse un million,
Fruit tâché, cœur d’occasion.
Bertrand, deux beaux yeux sans un sou
Glu d’oiseleur, piège à vieux fou.
L’une apporte dot et layette :
Vive la République honnête !
L’autre sa bonne volonté !
Vive la Famille et la Propriété !
 
Souteneur de l’ordre moral,
Macaire fonde un grand journal
Bien pensant, mais vindicatif,
On y ment pour le bon motif.
Les canards de coupeurs de tête,
Vive la République honnête !
On les fabrique en comité,
Vive la Famille et la Propriété !
 
Bertrand, depuis qu’il a du bien,
Avec le gendarme est très bien.
Macaire, inclinant vers Chambord,
Demande au ciel un pouvoir fort.
Pour les beaux yeux de leur cassette,
Vive la République honnête !
Ils sauvent la société…
Vive la Famille et la Propriété !

Robert Macaire et Bertrand, bandits et affairistes, sont des personnages de théâtre (1823 et 1835) créés par Benjamin Antier.

Breda Street : surnom de la rue Bréda (Paris 9e), lieu de prostitution des « brédas » ou « lorettes ». Devenue rue Henri-Monnier en 1905 puis rue Henry-Monnier en 2003.

Chambord : Henri d’Artois, duc de Bordeaux et comte de Chambord (1820-1883), prétendant au trône de France depuis 1844 (sous le nom d’Henri V).


Paru aussi dans : Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Dentu, 1887 (p. 112-114).

Paru aussi in : Le Père Peinard, 2e série, nº 78 (17-24 avril 1898).

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. Brochon, Pierre (éd.). — Œuvres complètes. — Paris [France] : Maspero, 1966 (p. 54).

Paru aussi in : Manfredonia, Gaetano. — Libres ! Toujours… : anthologie de la chanson et de la poésie anarchistes au XIXe siècle. — Lyon : Atelier de création libertaire, 2011 (p. 27).