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Le Carême du prolétaire

Jouy, Jules


Texte de Jules Jouy (1887).


À mon ami Émile Ledrain

Dès l’aube du premier malin,
Le nain fut jouet du colosse ;
Abel fut tué par Cain
Adam chassé par Dieu féroce,
Monde, depuis que ton cœur bat,
Les adversaires sont les mûmes ;
Il persiste, le dur combat
Entre les rouges et les blêmes.
 
Les ans passent comme des jours.
Depuis que l’homme cet sur la terre ;
Cependant il dure toujours,
Le Carême du prolétaire.
 
« Le jeûne est le pris du travail ;
À bras robustes, ventres vides. »
Ces mots brillent, aux murs de Cail,
Comme aux pierres des Pyramides,
On les pressure, ceux d’en bas,
Les rouges, les blancs et les nègres ;
Hélas ! le superflu des gras
Est fait de ce qui manque aux maigres.
 
Les ans passent comme des jours,
Etc., etc.
 
Parfois, pourtant. ceux qui n’ont rien
S’insurgent contre les gros ventres :
La bête se fait citoyen,
Les loups bondissent de leurs antres,
Autour des festins désirés,
Meurt-de-faim, dans l’ombre, tu rôdes ;
Voici venir les fédérés,
Après les Jacques et les Gaudes.
 
Les ans passent comme les jours,
Etc., etc.
 
Ogres sans vergogne. tremblez
Car les revanches sont voisines,
Le paysan prendra les blés,
L’ouvrier prendra les usines,
Gros mangeurs, gavés jusqu’au cou,
Prenez garde aux muges journées.
Où nous ressaisirons d’un coup,
Le Jeûne de dix mille-années !
 
Ils arrivent, les grands labours
Car il finira sur la terre :
Dans les champs et dans les faubourgs,
Le Carême du prolétaire !

25 février 1887


Paru dans : Jouy, Jules. Les Chansons de l’année [1887] (Bourbier et Lamoureux, 1888, p. 104-105)

Il s’agit aussi du 3e et du 13e titre de la série de chansons de Jouy reprises dans le le journal d’Émile Pouget, Le Père Peinard après le décès du chansonnier. Parue ici dans la (2e série, nº 27, du 25 avril au 2 mai 1897) et dans le nº 43 (15-22 aout 1897).

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