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La Complainte du p’tit Breton

Pelloutier, Fernand


Texte de Jean Réflec [Fernand Pelloutier] (1897).


C’était un tout petit breton
Qu’avait pas plus d’barbe au menton
Qu’sa gross’ caboche avait d’feintise
Il partit pour le régiment,
Pleurant son papa, sa maman,
Ses oi’s, sa vache et sa promise.
 
N’était point beau le p’tit breton.
En le voyant, l’sergent d’planton
Ne put r’tenir un éclat d’rire
Qui gagna bientôt tout l’quartier
Triste début dans un métier
Où faut subir tout sans rien dire !
 
Timide était le p’tit breton.
I’ trembalit devant l’capiston
Qui, plus raide que la Justice,
Lui dit, en l’fusillant des yeux :
« Maint’nant, mon gaillard, à nous deux,
« Il faudra bien qu’tu t’dégourdisses ! »
 
N’ayant pas le sou le p’tit breton.
Pour offrir un kilog d’picton
En manière de bienvenue,
De plusieurs nuits i’ n’put dormir,
N’faisant, avec de gros soupirs,
Qu’ram’ner les draps sur sa chair nue.
 
Têt’ dure avait le p’tit breton
En vain, des mois, lui s’rina-t-on
Les princip’s de la théorie ;
I’ n’en pouvait saisir un mot.
Lors, s’avisant qu’i’ faisait l’sot,
Le capitain’ s’mit en furie.
 
Il fit venir le p’tit breton
Et l’gratifia d’un long sermon,
Lui r’présentant l’Conseil de Guerre
Ou Biribi comm’ couronn’ment
De son stupide entêtement
À n’vouloir êt’ bon militaire.
 
D’fair’ mieux promit le p’tit breton.
Mais, sous l’empir’ d’l’émotion,
Il fut plus gauche à l’exercice
Et laissa tomber son fusil,
C’qui lui valut l’texte subtil :
« A refusé d’fair’ son service. »
 
I’ s’vit perdu, le p’tit breton,
Jeté dans un silo profond,
Ou fusillé comme rebelle.
Après un souvenir aux vieux,
À la promise, aux jours heureux,
Il se fit sauter la cervelle.

« Biribi » est un bagne militaire.


http://anarlivres.free.fr/pages/biblio/complements_texte/ChansonsPelloutier.html

Paru dans Le Père Peinard, 2e série, nº 23 (28 mars-4 avril 1897).