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Le Beau geste du sous-préfet

Couté, Gaston


Texte de Gaston Couté (1911). Sur l’air « Ça vous fait tout d’mêm’ quelque chose ».


« À Épernay, M. Nepoty, sous-préfet, a pris l’initiative de faire placarder dans les communes viticoles le discours de M. Briand ! »

Tandis que les riches fraudeurs
Qui n’connaiss’nt pas d’anné’s mauvaises
Se livrent tous avec ardeur
À leurs petites combinaises,
En Champagn’ les pauvres vign’rons
D’puis les vendang’s se serr’nt la panse,
Et pourtant r’connaissons qu’ils ont
— Dans leur malheur — un’ sacré’ chance !
 
Si les braves gens d’Épernay
N’ont plus rien dans leurs cav’s moroses
Ils ont ’core un bon sous-préfet
Et ça… c’est tout d’mêm’ quelque chose !
 
Les cloch’s s’étant mis’s à clamer
De désespoir, au sein de l’ombre,
Et les paysans affamés
À circuler en troupes sombres ;
Devant ces manifestations
De la misère champenoise,
Un’ grand’ poussé’ de compassion
Remua son âme bourgeoise
 
« Il serait tout à fait urgent
Avec les moyens dont j’dispose
De fair’ quéqu’ chos’ pour ces brav’s gens.
Y a pas, il faut fair’ quelque chose !
 
Se mettant en quatr’ pour tirer
De cette détresse infinie
Ses malheureux administrés,
Il eut un éclair de génie :
Moyen superbe et… radical
Pour apaiser les ventres vides
I’ vient d’leur offrir le régal…
Du dernier discours d’Aristide
 
l’r’gar’ pas à la quantité
Des grand’s affich’s que l’on appose !
Quand y a vraiment nécessité
M’sieu Nepoty fait bien les choses !
 
La manne du bon sous-préfet
Pleut sur les plus humbles campagnes…
Ce Nepoty ! hein, quel succès !
C’est le sauveur de la Champagne ;
Pendant c’temps les malheureux gas
À qui l’on présente en pâture
Les boniments du Renégat
Continu’nt à s’mettr’ la ceinture —
 
Refrain
Hélas ! pauvres vign’rons sans vin
Rincez-vous l’œil avec cett’ prose.
Mais si vous n’voulez crever d’faim
I’ s’ra prudent d’trouver autr’ chose.

« Chanson satirique d’actualité » parue dans La Guerre sociale (1906-1915) (25-31 janvier 1911).

Aristide Briand (1862-1932), président du conseil des ministres. Le titre « Rénégat » qui lui est donné vient de son passé d’avocat proche du syndicalisme-révolutionnaire et ancien partisan de la grève générale.