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Ubu président

Couté, Gaston


Texte de Gaston Couté (1910). Sur l’air « Le Roi Dagobert ».


« C’est à se demander si cet homme (Fallières) a une conscience ? »
L’Humanité.

Ce grotesque salaud
Nous avait semblé rigolo
Quand de par l’esprit
De ce brav’ Jarry,
Nous le connum’s roi
D’un lointain endroit,
Mais fini d’rir’ maint’nant
MERDRE !... C’est lui notr’ Président !
 
L’ « boufre » n’a pas changé
Il met toujours avant d’juger,
Sous son cul pesant
Justice et bon sens.
« Ces chos’s Père UBU
On n’s’assoit pas d’ssus,
Veuillez l’ver votr’ séant !
MERDRE — répond le Président.
 
« Voyons, hier encor
Vous étiez contr’ la pein’ de mort ?
— Oui, mais à présent
J’en suis partisan :
Si quelques chrétiens
Perd’nt leur tête, eh bien !
Moi, j’garde en attendant
MERDRE — ma plac’ de Président ! »
 
Allons, corne de bœuf !
Dites-moi quel est ce Liabeuf ?
— Un pauvr’ travailleur,
Un’ victim’ des « mœurs »
— Ça suffit ainsi :
Qu’on l’passe à la sci’
À dédoubler les gens !
Et MERDRE ! rugit l’Président !
 
Puis après un répit :
« — Qui ça peut-il êtr’ que Graby ?
— un vil assassin,
L’fils d’un argousin…
— C’est asssez… ho là
Que l’on ouvre la
Porte aux grâc’s et viv’ment !
MERDRE — pardonne le Président !
 
« Eh bien !… et Duléry ?
— Il était soldat, comm’ Graby —
Mais on ne peut pas Comparer leur cas,
Et c’est excessif
Pour un coup d’canif
D’encourir tel jug’ment…,
MERDRE, MERDRE ! — dit l’Président
 
« — Son père est policier
Que fabriqu’nt donc ses devanciers ?
— C’sont des gens d’honneur,
De brav’s travailleurs…
— Bon ! leur fils va voir
Le danger d’avoir
De semblables parents,
MERDRE ! au poteau ! » fait l’Président !
 
« Père UBU, mon p’tit chou,
Allons voyons quand cess’rez vous
Ces bourdes cruell’s
Et présidentielle ?
Vraiment on croirait
Qu’ vous les fait’s exprès :
Le peuple est mécontent
J’l’EMMERDRE... gouaill’ le Président !

« Chanson satirique d’actualité » parue dans La Guerre sociale, 3e année, nº 40 (14-20 septembre 1910).

Alfred Jarry (1873-1907), auteur notamment de la pièce de théâtre Ubu roi.
Jean-Jacques Liabeauf (1886-1910), guillotiné.
[Michel et] Graby, soldats auteurs d’un meurtre civil en 1909, condamnés à mort par le conseil de guerre et dont la peine a été commuée afin d’éviter à d’autres militaires de les fusiller. Par la suite, la peine pour un crime civil par des militaires sera exécutée par la justice civile, soit la guillotine pour les condamnations à mort. Voir : Roynette-Gland, Odile. « Les conseils de guerre en temps de paix entre réforme et suppression (1898-1928) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. no 73, no. 1, 2002, p. 51-66.
Duléry, soldat exécuté en 1910 dans le camp de Biribi (bagne militaire) pour avoir blessé un garde qui le maltraitait.