Accueil > Chansons > Complainte des ramasseux d’morts

Complainte des ramasseux d’morts

Couté, Gaston


Texte de Gaston Couté (1910). Puis diverses musiques : Gérard Pierron (1979), Michel Desproges (2005), J.-P. Roland.


Cheu nous, le lend’main d’la bataille,
On est v’nu quéri’les farmiers :
J’avons semé queuq’s bott’lé’s d’paille
Dans l’cul d’la tomb’rée à fumier ;
Et, nout’ jument un coup ett’lée,
Je soumm’s partis, rasant les bords
Des guérets blancs, des vign’s gelées,
Pour aller relever les morts…
 
Refrain
Dans moun arpent des « Guerouettes »,
J’ n’ n’avons ramassé troués
Avec Penette…
J’n’n’avons ramassé troués :
Deux moblots, un bavaroués !
 
La vieill’ jument r’grichait l’oreille
Et v’la-t-y pas qu’ tout en marchant,
J’faisons l’ver eun’ volte d’corneilles
Coumm’ ça, juste au mitan d’mon champ.
Dans c’champ qu’était eun’luzarniére,
Afin d’mieux jiter un coup d’yeux,
J’me guch’ dessus l’fait’ d’eun’ têtiére,
Et quoué que j’voués ?… Ah ! nom de Dieu !…
 
Troués pauv’s bougr’s su’ l’devars des mottes
Etint allongés tout à plat,
Coumme endormis dans leu’ capote,
Par ce sapré’ matin d’verglas ;
lls’tin déjà raid’s coumme eun’ planche :
L’ peurmier, j’avons r’trouvé son bras,
— Un galon d’lain’roug’ su’ la manche —
Dans l’champ à Tienne, au creux d’eun’ râ’…
 
Quant au s’cond, il ’tait tout d’eun’ pièce,
Mais eun’ ball’ gn’avait vrillé l’front
Et l’sang vif de sa bell’ jeunesse .
Goulait par un michant trou rond :
C’était quand même un fameux drille
Avec un d’ces jolis musieaux
Qui font coumm’ ça r’luquer les filles…
J’l’ont chargé dans mon tombezieau !…
 
L’trouésième, avec son casque à ch’nille,
Avait logé dans nout’ maison :
Il avait toute eun’ chié’ d’ famille
Qu’il eusspliquait en son jargon.
I’ f’sait des aguignoch’s au drôle,
Li fabriquait des subeziots
Ou ben l’guchait su’ ses épaules…
I’ n’aura pas r’vu ses petiots !…
 
Là-bas, dans un coin sans emblaves,
Des gâs avint creusé l’sol frouéd
Coumm’ pour ensiler des beutt’raves :
J’soumm’s venu avec nout’ charroué !
Au fond d’eun’tranché’, côte à côte,
Y avait troués cent morts d’étendus :
J’ont casé su’ l’tas les troués nôt’es,
Pis, j’ont tiré la tarr’ dessus…
 
Les jeun’s qu’avez pas vu la guarre,
Buvons un coup ! parlons pus d’ça !
Et qu’l’anné’ qui vient soit prospare
Pour les sillons et pour les sâs !
Rentrez des charr’té’s d’grapp’s varmeilles,
D’luzarne grasse et d’francs épis,
Mais n’fait’s jamais d’récolt’ pareille
À nout’ récolte ed’ d’souéxant’-dix !…

Paru dans le numéro spécial « La Guerre » de Les Hommes du jour (nº 155 ?, 7 janvier 1911) et dans Le Pioupiou de l’Yonne, nº 15 (septembre 1911).

Publié aussi dans la revue La Muse rouge : nouvelle série, nº 8 [… 1928].

Paru aussi in : La Volonté populaire : pacifiste, espérantiste et sociale, nº 22 (avril-juin 1959).

Paru aussi in : Brécy, Robert. — Autour de La Muse rouge : groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires, 1901-1939. — Saint-Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 1991. — 254 p. (p. 69).


Record : Crieurs, les ; Di Nocera, Michel ; Fourcade, Nicole. Autour de Gaston Couté, 1880-1911