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La Terreur blanche

Pottier, Eugène


Texte d’Eugène Pottier (1870).


1
Messieurs les conservateurs,
Vous le grand parti de l’Ordre,
Procédons, plus de lenteur !
L’hydre peut encor nous mordre.
On a pris Paris et huit jours durant
Par la mitrailleuse on sut faire grand,
Taper dans le tas, c’était à se tordre,
Mais fallait finir comme on commença.
Fusillez-moi ça !
Fusillez-moi ça !
Pour l’amour de Dieu, fusillez-moi ça !
 
2
Dans les premiers jours d’exploit
On n’a pas manqué de touches,
Quand on relit le Gaulois,
L’eau vous en vient à la bouche.
Parlez-moi des gens comme Galliffet :
Avec la canaille, il va droit au fait,
Mais l’esprit public d’un rien s’effarouche.
Bref ! Dans les pontons, on les entassa !…
Fusillez-moi ça !
Fusillez-moi ça !
Pour l’amour de Dieu, fusillez-moi ça !
 
3
Dès qu’on juge, c’est gâché,
On tombe dans le vulgaire.
Ils sont en papier mâché
Vos fameux conseils de guerre !
Pourquoi les Gaveaux, les Boisdenemets,
Vous embarquez-vous dans les si, les mais ?
La peine de mort encor ce n’est guère,
Mais pas de Cayenne ou de Lambessa,
Fusillez-moi ça !
Fusillez-moi ça !
Pour l’amour de Dieu, fusillez-moi ça !
 
4
Quels lâches, que ces meneurs,
Ils ont gagné la frontière.
C’était tous des souteneurs
Et des rôdeurs de barrière,
Des joueurs de vielle et des vidangeurs.
Que d’argent trouvé sur ces égorgeurs !
C’est vingt millions qu’emportait Millière,
Enfin Delescluze était un forçat.
Fusillez-moi ça !
Fusillez-moi ça !
Pour l’amour de Dieu, fusillez-moi ça !
 
5
Quoi ! Rochefort qui traita,
Dans ces immondes sornettes,
Un illustre homme d’État,
De vieux serpent à lunettes !
L’homme à la Lanterne, un esprit cassant,
Marquis journaliste et buveur de sang,
Quoi, vous le tenez dans vos mains honnêtes,
Ce petit monsieur qui nous agaça.
Fusillez-moi ça !
Fusillez-moi ça !
Pour l’amour de Dieu, fusillez-moi ça !
 
6
Les petits sont pétroleurs
Dans le ventre de leur mère ;
Pour supprimer ces voleurs
Nul moyen n’est trop sommaire.
Exemple : à Montmartre un mâle étant mort,
La femelle en pleurs s’élance et nous mord ;
Bien qu’elle fût pleine, on prit la commère :
A faire coup double, elle nous força.
Fusillez-moi ça !
Fusillez-moi ça !
Pour l’amour de Dieu, fusillez-moi ça !

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. — Chants révolutionnaires. — Paris : Dentu, 1887 (p. 80-82).

Paru aussi dans : Pottier, Eugène. Brochon, Pierre (éd.). — Œuvres complètes. — Paris [France] : Maspero, 1966 (p. 99).

Paru aussi dans : Coulonges, Georges. — La Commune en chantant. — Paris [France] : Éditeurs français réunis (EFR), 1970 (p. 190-191).