Un Rêve

1

Cette nuit je dormais à peine,

Que, rêvant, j’entendis Chauvin,

D’un ton bachique à perdre baleine,

Chanter, inspiré par son vin :

Salut ! empereur d’Allemagne,

Le monde est soumis à tes lois.

Que l’on me verse du champagne.

Chauvin veut boire à tes exploits.

 

2

Par les belliqueuses idées

Qui grandissaient dans ton cerveau,

Les rares germaines guidées

Ont vu briller un jour nouveau.

Et pour ennoblir ta couronne,

Tu la teignis du sang Danois,

Ô Guillaume, enfant de Bellonne,

Chauvin veut boire à tes exploits.

 

3

Ta puissance devait s’étendre,

Ainsi le voulait ton orgueil,

Tes canons se firent entendre,

Et le Habsbourg fut dans le deuil.

Et soudain comtes, ducs et princes.

Jusques aux libres Francfortois

T’abandonnèrent leurs provinces.

Chauvin veut boire à tes exploits.

 

4

Le Bonaparte à ton prestige.

Osa tenter de mettre un frein.

Pris de fureur et de vertige,

Il tourna son œil vers le Rhin.

Mais dès sou premier cri de guerre,

On vit ce Napoléon trois,

Se rendre au bruit de ton tonnerre,

Chauvin veut boire à ses exploits.

 

5

Puis pour compléter la victoire,

Bazaine, ce nouveau Judas,

Bazaine d’infâme mémoire.

Livra deux cent mille soldats.

Tandis qu’en une trâme immense,

Tu retiens Paris aux abois.

Ton armée étouffe la France,

Chauvin veut boire à tes exploits.

 

6

Que te font ces femmes flétries.

Cette détresse, ces sanglots,

Ses ruines et ses tueries,

Et tout ce sang qui coule à flots,

Si ta gloire en était tachée,

Ton hermine tiendrait, je crois,

Dans ses plis la tache cachée.

Chauvin veut boire è tes exploits.

 

7

Guerre ! sus à la République !!

Courbe l’Europe à tes genoux,

Que la Providence s’applique,

À seconder ton fier courroux.

Hourrah ! tes destins s’accomplissent,

L’Univers tressaille à ta voix.

Allons, que nos verres s’emplissent,

Chauvin veut boire à tes exploits.

 

8

Ivre-mort, couché sous la table,

Chauvin ronflait, lorsque soudain.

Tumultueuse et formidable,

Un bruit s’entendit au lointain :

Ce cri de haine à toute outrance,

Des opprimés contre les rois.

M’éveillait avec l’espérance

De boire à nos prochains exploits.