Croissez et multipliez !

1

La crise sévit, permanente,

Les sans-travail sont légion

Et toujours la misère augmente

Le crime en sa contagion.

Sus le ventre des faméliques

Les repus dansent, triomphants ;

Et la morale évangélique

Dit au peuple : fais des enfants.

 

2

Fais des enfants, mère débile !

Car il en faut pour les charniers.

On les couche, là-bas, par file.

— Ô l’horreur des rouges chantiers ! —

Le riche te dit : femme enfante ;

Il faut à sa lubricité

L’appât de la vierge innocente

Qu’on souille avant la puberté.

 

3

Le prêtre en sa creuse faconde.

Le soudard aux galons sanglants,

Vont te répétant : sois féconde,

Fais des enfants, fais des enfants.

L’exploiteur dit : pourvois l’usine,

— Pour que la rente monte encore —

Fais-nous de la chair à machine,

Ta fécondité, c’est de l’or.

 

4

Peuplez le bagne et les casernes,

Et que grouillent les déclassés.

Peuplez lupanars et tavernes,

Faites de la chair à baisers.

Donnez-nous la bonne, câline,

Qui paraît n’y devoir toucher :

Et le larbin, courbant l’échine

Sous l’étrivière, sans broncher.

 

5

Ô gueux ! multipliez sans trêve.

Afin que si les travailleurs

Lèvent l’étendard de la grève

Nombreux viennent les supplanteurs.

Qu’aux temps des révoltes farouches

Les balles des fils, bien en plein,

Frappant, aillent clore les bouches

Des pères réclamant du pain.

 

6

Procréez, vile multitude,

Soyez nombreux comme fourmis ;

Et, ployant sous la servitudes,

Plus pauvres, soyez plus soumis.

Nous étayons notre puissance

Sur vos prolifiques amours ;

Peuple, croupis dans l’indigence,

Il nous reste encore de beaux jours.