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La Chanson du paysan

Gueux, Jacques


Texte de Jacques Gueux (≤ 1907).


1
Paysan, sors de ton sommeil !
Voici qu’à l’horizon vermeil,
Le jour parait doux et timide.
L’alouette s’éveille aux champs,
Elle va commencer ses chants
Et déployer son aile humide.
 
2
Le hibou se cache et s’endort ;
On va voir l’astre aux rayons d’or
Réchauffer la plaine arrosée,
Et, lui séchant son vert manteau,
Faire s’évaporer bientôt
Les diamants de la rosée.
 
3
Ouvre les yeux, réveille-toi !…
Déjà l’aube blanchit ton toit
De son indécise lumière.
Dans le bois au dôme mouvant,
L’écureuil part, le nez au vent :
Paysan, sort de ta chaumière.
 
4
Tout baigné de cette lueur,
Va féconder de ta sueur
Les flancs généreux de la terre.
Vois ! le sillon est commencé,
Il faut qu’il soit ensemencé,
Par tes soins, travailleur austère.
 
5
La fatigue t’écrase, mais
Tu ne peux t’arrêter jamais,
Tous les jours on te le rappelle ;
Rongé vivant par les impôts,
Tu dois travailler sans repos :
Allons ! prends ta faux et ta pelle.
 
6
En inclinant ton front chagrin,
Du sol noir, fais jaillir le grain
Qui donne la farine blanche,
Et tu pourras, si la moisson
Réussit, prendre un peu de son
Pour faire ton pain le dimanche.
 
7
Fais paître, dans les prés couverts
De fleurs et d’herbages bien verts,
Bœufs pensifs et génisses lentes !
Nourris-les, rends-les gras à point ;
Mais cependant n’espère point
Goûter de leurs chairs succulentes.
 
8
Tonds la brebis, pauvre vilain,
Recueille la neige du lin,
Blanche et pure comme l’étoile,
Et va sous les cieux inconstants
N’ayant au corps par tous les temps
Qu’un méchant vêtement de toile.
 
9
Poursuis le labeur obstiné
Auquel le sort t’a condamné ;
Ne regarde pas à la peine ;
Et, créant la prospérité,
Vis et meurs dans l’obscurité,
Dans la misère et dans la peine

Paru aussi dans : Le Cubilot. — Aiglemont : 1906-1908. — N° 20 (10-16 mars 1907)