1Paysan, sors de ton sommeil !Voici qu’à l’horizon vermeil,Le jour parait doux et timide.L’alouette s’éveille aux champs,Elle va commencer ses chantsEt déployer son aile humide.2Le hibou se cache et s’endort ;On va voir l’astre aux rayons d’orRéchauffer la plaine arrosée,Et, lui séchant son vert manteau,Faire s’évaporer bientôtLes diamants de la rosée.3Ouvre les yeux, réveille-toi !…Déjà l’aube blanchit ton toitDe son indécise lumière.Dans le bois au dôme mouvant,L’écureuil part, le nez au vent :Paysan, sort de ta chaumière.4Tout baigné de cette lueur,Va féconder de ta sueurLes flancs généreux de la terre.Vois ! le sillon est commencé,Il faut qu’il soit ensemencé,Par tes soins, travailleur austère.5La fatigue t’écrase, maisTu ne peux t’arrêter jamais,Tous les jours on te le rappelle ;Rongé vivant par les impôts,Tu dois travailler sans repos :Allons ! prends ta faux et ta pelle.6En inclinant ton front chagrin,Du sol noir, fais jaillir le grainQui donne la farine blanche,Et tu pourras, si la moissonRéussit, prendre un peu de sonPour faire ton pain le dimanche.7Fais paître, dans les prés couvertsDe fleurs et d’herbages bien verts,Bœufs pensifs et génisses lentes !Nourris-les, rends-les gras à point ;Mais cependant n’espère pointGoûter de leurs chairs succulentes.8Tonds la brebis, pauvre vilain,Recueille la neige du lin,Blanche et pure comme l’étoile,Et va sous les cieux inconstantsN’ayant au corps par tous les tempsQu’un méchant vêtement de toile.9Poursuis le labeur obstinéAuquel le sort t’a condamné ;Ne regarde pas à la peine ;Et, créant la prospérité,Vis et meurs dans l’obscurité,Dans la misère et dans la peine
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La Chanson du paysan
Gueux, Jacques
Texte de Jacques Gueux (≤ 1907).
Paru aussi dans : Le Cubilot. — Aiglemont : 1906-1908. — N° 20 (10-16 mars 1907)