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Complainte de l’estropié

Couté, Gaston


Texte de Gaston Couté. Sur l’air « Le Vieux mendiant » de Paul Delmet (1862-1904) d’après des paroles de Henri Bernard.

Couté a écrit un autre texte de même titre.


« Un soldat du 35e d’Artillerie à Vannes, François Thépaut, fut blessé à la jambe par une ruade de cheval. Soigné à l’hôpital, il demeure infirme et doit se servir de béquilles pour marcher. Avant hier un ordre du Ministère ordonne de renvoyer Thépaut dans sa famille et lui alloue la somme dérisoire de 200 francs à titre d’indemnité. Thépaut refuse et pleurant à chaudes larmes, dit “qu’il ne partirait pas”. On parvint à le déshabiller et à le revêtir d’effets usagés ; puis quatre hommes, commandés par un maréchal des logis, l’expulsèrent du quartier et le remirent entre les mains de gendarmes qui l’attendaient à la grille et le conduisirent à ta gare ! »
Paris - Journal.

J’étais un gaillard bien bâti
Et l’Major ne trouvant pas d’vices
Dans l’fonctionn’ment d’mes abattis,
M’a dit : « t’es bon pour le service !
Un bougre comm’ toi, mon fiston,
Ça doit servir dans l’artill’rie ! »
— Merci m’sieu l’Major !… Et chantons
Les louanges de la Patrie !
 
Là-bas on m’fourre un canasson
Qu’avait l’cul comme un’ petit’ folle ;
Un jour, i’ m’colle un coup d’chausson
Vlan, au travers des deux guibolles :
À l’hôpital, portez-moi donc
Comme un paquet de chair meurtrie…
Et chantons, les copains, chantons
Les louanges de la Patrie !
 
Maint’nant, c’gâs, dont l’Major avait
Palpé les abattis solides,
O régiment, qu’en as-tu fait ?
— « Je ne suis plus qu’un invalide ! —
En m’en nant au canton
Que r’trouv’ra ma pays’ chérie »
— Un pauvr’ béquillard ! — Et chantons
Les louanges de la Patrie !
 
De quoi ? Tu t’mets à rouspéter
Tu chial’s et tu fais des grimaces,
Tu t’obstin’s espèc’ de moch’té,
À n’pas vouloir vider la place ?
Allons ! à la porte illico,
Qu’on l’empoign’… sans cérémonie
Et chantons ! — Ah ! les saligauds ! —
Les louanges de la Patrie !
 
Chez nous les gens viv’nt en piochant,
Du mois d’janvier au mois d’décembre :
Pour arracher son pain d’son champ
On a pas trop de tous ses membres !
J’peux plus poser mes ripatons :
Comment fair’ pour gagner ma vie ?
— Tiens, voilà deux sous ! — Et chantons
Les louanges de la Patrie !
 
C’est pour ça que vous me trouvez,
Clochetant et portant besace,
Sur le chemin que vous suivez
Entendez-vous conscrits d’la classe ?
À présent que j’vous ai conté
L’histoir’ de mes patt’s démolies,
J’pens’ que vous allez tous chanter
Les louanges de la Patrie !

Paru dans La Guerre sociale (26 avril-2 mai 1911).