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La Montée en ligne

Merle, Eugène


Texte de Jean Sapeur [Eugène Merle] (1917). Air de Fualdès « La Complainte de Fualdès » [= « Air du maréchal de Saxe » (18e s.)].


1
V’là l’repos claqué, quel’ guigne !
Quel business dégueulbi,
Ah ! sacré putain d’fourbi !
Va falloir r’monter en ligne
Et se taper du secteur,
Ça m’fout déjà mal au cœur !
 
2
Vit’ les gars ! Qu’on se cavale
En douc’ chercher du pinard
Pour occir ce coup d’cafard !
V’la l’mercanti qui râle
De nous vendre — ah ! sal’ cochon ! —
Son rougeot trois francs l’bidon.
 
3
Fais-nous grâce de tes prières,
Pass’ viv ment un camembert
Pas trop fait, j’aim’ pas les vers.
Tu l’as dit qu’c’est la vie chère,
Trent’ cinq ronds, vrai ! c’est donné !
Ce from’gi zigouille mon prêt !
 
4
Merd’ le juteux qui radine !
« Allons, grouillez-vous les gas !
Bouclez vite tout votr’ barda ! »
— Tirez échelle ! on se débine
Du grenier au vieux croquant
Qui vous engueule en partant !
 
5
Dans les autos, on se tasse
En voulez-vous des harengs !
Dieu ! qu’ça tape là-dedans !
Le benzol picote les chasses,
Et l’tuyau d’échappement
Lanc’ des gaz asphyxiants.
 
6
Ou va-t-on ? Vrai, tu nous sonnes
Avec tes sacrés percots
De branleurs et de cuistots !
Pourvu que c’soit pas la Somme !
Ça t’pend au train plus sûr’ment
Que d’revoir ce soir Panam’.
 
7
Roul’ dessus, gi, c’est un cogne !
Ten fais donc pas pour son lard,
Faudra qui fond’ tôt ou tard.
N’y aurait qu’eux pour la besogne,
C’est Bibi qui te le dis
Qu’les Boch’ seraient à Paris !
 
8
L’auto s’arrête… On débarque
Pour repartir aussitôt,
Un coup d’sifflet. Sac au dos !
Où vas-tu, ma pauvre barbaque ?
Qui chemine lentement
Comm’ pour un enterrement.
 
9
Le temps s’est fait dégueulasse,
Malheur ! C’est donc fait exprès
Que l’Bon Dieu s’met à pisser
Pour chaque montée, quel’ poisse :
Et ça pèt’ t-il le canon,
V’la Boche qui joue au c.. !
 
10
La nuit arrive, on se glisse
Avec peine dans l’boyau
Qui, c’est couru est plein d’eau !
Un trou m’en fout jusqu’aux cuisses,
Vas-y vieux, on les aura !
Les pieds gelés. Et ça bich’ra !
 
11
On est crevé, on s’arrête,
On repart. cahin-caha.
C’est bon ! M’en fait pas un plat !
Faits passer : Douc’ment en tête
Et puis fais passer aussi
Qu’on en a tous marre ici !
 
12
Une relève ! La v’la, profanes !
On est harassé, fourbu,
Chacun en a plein son c..
C’est loin du bourrag’ de crâne
Des mecs qui, les pieds au chaud.
Débloquent dans les journaux !

La Somme, 1917


La chanson, censurée en 1917, ne parait qu’en 1920 dans Le Merle blanc, le journal d’Eugène Merle, après l’arrêt en 1919 de la censure.

Paru aussi in : Brécy, Robert. — Autour de La Muse rouge : groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires, 1901-1939. — Saint-Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 1991. — 254 p. (p. 106).