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Aux Pèr’s Lapins

Poitevin, Eugène


Texte d’Eugène Poitevin (1913).


Dédié à Sébastien Faure

1
Les Pèr’s Lapins sont d’chouett’s messieurs.
Les uns sont jeun’s, les autres vieux :
Les vieux, qu’enrag’ leur impuissance,
À l’instar du brav’ monsieur Piot,
Pour chacun des ménag’s de France,
Voudraient un’ douzain’ de loupiots.
Les jeun’s pens’nt de la mêm’ manière ;
Mais vraiment, on n’le croirait guère,
Car la famille de ces malins,
D’un lardon, deux ou plus, s’compose
Et, pendant qu’leur moitié s’repose,
Un’ nourrice allait’ les bambins
D’ces faux Pèr’s-Lapins.
 
2
Les purs, les francs, vrais Pèrs-Lapins,
C’est tout l’contrair’ des gens rupins.
Ils n’ont pas d’femmes, mais des femelles,
Qu’ils engross’nt, sans s’préoccuper
Si, pour gonfler les mamelles,
Ils gagn’ront d’quoi les fair’ souper.
Ils sont plus abrutis qu’canailles ;
Chaqu’ soir, c’est d’vant l’bistrot, qu’ils braillent
Contr’ le patron. Mais, dès l’lend’main,
Quand l’alcool ne s’ra plus d’la fête,
Ils s’en iront, baissant la tête,
Piteusement, vers le turbin,
Les vrais Pèr’s-Lapins.
 
3
Que n’employez-vous les moyens
D’nos bourgeois aux airs puritains,
Vous, les besogneurs prolétaires !
Chez eux, tout est pesé, compté :
(Au dehors, c’est une autre affaire !)
L’argent et la propriété,
Ça n’aim’ pas les nombreux partages.
Quant à l’amour… certains usages…
Fiez-vous à ces libertins !
Mais, pour ceux que l’travail assomme :
— Hardi, la femm’ ! — Vas, mon homme ! —
Ils en sont pour les ventres pleins,
Les vrais Pèr’s-Lapins.
 
4
Entre les gueux et les rupins,
Les vrais et les faux Pèr’s-Lapins,
On voit des couples raisonnables,
Mangeant, buvant leur saoul, sans plus :
M’nag’s rangés et “confortables”,
N’ayant point d’gosses qui n’soient voulus.
Ils ont, pour leur progéniture,
le souci d’un’ bonn’ nourriture,
De l’hygièn’, pour qu’en un corps sain,
D’leur enfant, s’dév’lopp’ la pensée,
En dépit d’la bande offensée
Des faux Pèr’s-Lapins.
 
5
Lesquels s’apprèt’nt, bell’s lois en main,
À r’mettre au plus tôt, dans l’droit ch’min,
Ces braves gens, anti-bibliques.
Ça n’est pas avec les déchets
Des producteurs alcooliques
Et l’maigre appoint des gros michés,
Qu’on peut avoir assez d’gendarmes,
Flics, soldats, pour que, sans alarmes,
Les rich’s jouiss’nt de leurs coffres pleins.
Mais, nous ne somm’s pas des Ilotes ;
Devant vos sinistres parlotes,
Jug’s, vous trouverez des humains
Et non des lapins !

Monsieur Piot : peut-être Jean Piot (1889-1948), homme politique et journaliste à L’Œuvre.


Paru dans Rénovation, nº 27, 3e année, nº 3 (15 juin 1913), p. 4.