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Les Boites

Doublier, Maurice


Texte de Maurice Doublier (ca 1898). Air : « Ce sont des maisons où l’on passe… » (≤1898) tiré de Les Salons parisiens, musique de D.A. [Henri ?] Dérouville (1858-1919) et de Joël Tiska (pseud. de Jules Walter, 18..-1924) ?.


1
À quatorze ans, quand d’l’épicerie,
J’mis à mon cou l’blanc tablier,
Je n’croyais pas, j’vous l’certifie,
Que c’était un pareil métier.
Non seul’ment les salair’s sont maigres,
Mais tout’ la journée, les patrons
Nous font travailler comm’ des nègres
C’qui fait qu’maintenant tout’s leurs maisons
 
(Refrain)
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte
L’on s’éreinte (bis)
Quinze heur’s par jour mêm’ plus longtemps,
Sans arrêter un seul instant.
On trime, on s’use et l’on s’esquinte
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte.
 
2
On nous donn’ de la nourriture
Un chien n’voudra’t pas y toucher.
Les fonds d’tiroir, la pourriture.
Voilà c’qu’on nous flanque à bouffer.
Quant à ce qui nous sert de chambre,
Outre l’manque d’air et la sal’té,
C’est l’Pôl’ Nord au mois de décembre
Et l’Sénégal en plein été.
 
(refrain)
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte
L’on s’éreinte (bis)
On est ma nourri, mal couché,
Mais il faut quand même marcher
On trime, on s’use et l’on s’esquinte
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte.
 
3
Parmi les épic’ries nouvelles
On rencontr’ beaucoup d’grand’s maisons.
Ce sont celles dites « modèles »
De vrais bagnes, de vraies prisons ;
Tout’ la journée, c’est l’dépotage.
Les équipes et les tuilots,
Puis pour activer l’surmenage
Un tas d’chefs tout l’temps sur le dos.
 
(refrain)
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte
L’on s’éreinte (bis)
Quand les magasins sont fermés,
Le soir il faut encor veiller,
On trime, on s’use et l’on s’esquinte
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte.
 
4
Dans l’espoir d’être plus tranquilles,
Quand l’âge vient d’être patron,
Ceux qui possèd’ent quequ’s billets de mille
Achètent bien vite un’ maison.
Mais la concurrence est si grande,
Que souvent, au lieu d’réussir,
Le plus grand nombre se demande :
Par quels subterfug’s se maint’nir ?
 
(refrain)
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte
L’on s’éreinte (bis)
Comme on fait à peine ses frais,
On se fait plus d’bil’ que jamais.
On trime, on s’use et l’on s’esquinte
Ce sont des boit’s où l’on s’éreinte.
 
5
Petit à petit, le temps passe
Les ans se suiv’ent sans rien changer.
Puis un beau jour, la corde casse.
C’est l’instant de décaniller.
Sans regrets on quitte la vie.
Des pleurs, de la terr’, puis, ça y est !
C’est la dernière boite, mais…
 
(refrain)
C’est la seul’ boite où l’on se r’pose,
L’on se r’pose (bis)
Tout le temps qu’ l’on a vécu.
On a trimé tant qu’on a pu
Et c’est seul’ment qu’l’on fait la pause
C’est la seul’ boite où l’on se r’pose.

Paru aussi in : la série « Chansons coopératives de Maurice Doublier » vers 1898 puis plus tard en petit format.

Paru aussi in : Brécy, Robert. — Autour de La Muse rouge : groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires, 1901-1939. — Saint-Cyr-sur-Loire : Christian Pirot, 1991. — 254 p. (p. 24).