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La Vie

Torrent, Jacques


Texte de Jacques Torrent (≤1906).


1
Lorsque le Printemps parsème de fleurs
Les riants coteaux où règne Cybèle,
La Nature étend ses riches couleurs ;
Et la vie est belle.
 
Dans le ciel d’azur, le soleil joyeux
Jette en rayons chauds son feu tutélaire ;
L’astre incandescent met sa poudre aux yeux,
Et la vie est claire.
 
Combien d’amoureux, dans les bois touffus,
Jasent tendrement sur un lit de mousse !
On entend un bruit de soupirs confus ;
Et la vie est douce.
 
Quand ils s’en iront, gaiement enlacés,
Le pinson moqueur, qui les vit s’entendre,
Dira : Les amants se sont embrassés,
Car la vie est tendre.
 
Lorsque le Printemps s’illumine au cœur
Et que le Désir à l’Amour se donne,
Nature, ton souffle est un champ vainqueur ;
Et la vie est bonne !
 
2
Mais au pauvre gueux qui n’a pas d’amour,
Au triste indigent pour qui rien ne cède,
À qui meurt de faim, la nuit ou le jour,
Que la vie est laide !
 
Le soleil a beau dorer les moissons :
Pour le malheureux qui chemine en l’ombre
Des poignants soucis et des noirs frissons,
Que la vie est sombre !
 
Que le clair Printemps chante son refrain,
Ou qu’au morne Hiver l’Automne prélude,
Au déshérité qui n’a pas de pain,
Que la vie est rude !
 
Jamais la douceur ne vient l’apaiser,
Dans son cœur souffrant nul amour n’existe.
Oh ! pour qui ne peut goûter le baiser,
Que la vie est triste !
 
Quand, lassés des fleurs, des humilités,
Il arrive enfin qu’un d’entre eux se fâche…
Ah ! contre ces gueux qu’elle a révoltés,
Que la vie est lâche !

Paru aussi in La Voix du peuple : journal syndicaliste paraissant tous les samedis (Lausanne, 1906-1914), in 1re année, nº 41 (20 octobre 1908).