1Lorsque le Printemps parsème de fleursLes riants coteaux où règne Cybèle,La Nature étend ses riches couleurs ;Et la vie est belle.Dans le ciel d’azur, le soleil joyeuxJette en rayons chauds son feu tutélaire ;L’astre incandescent met sa poudre aux yeux,Et la vie est claire.Combien d’amoureux, dans les bois touffus,Jasent tendrement sur un lit de mousse !On entend un bruit de soupirs confus ;Et la vie est douce.Quand ils s’en iront, gaiement enlacés,Le pinson moqueur, qui les vit s’entendre,Dira : Les amants se sont embrassés,Car la vie est tendre.Lorsque le Printemps s’illumine au cœurEt que le Désir à l’Amour se donne,Nature, ton souffle est un champ vainqueur ;Et la vie est bonne !2Mais au pauvre gueux qui n’a pas d’amour,Au triste indigent pour qui rien ne cède,À qui meurt de faim, la nuit ou le jour,Que la vie est laide !Le soleil a beau dorer les moissons :Pour le malheureux qui chemine en l’ombreDes poignants soucis et des noirs frissons,Que la vie est sombre !Que le clair Printemps chante son refrain,Ou qu’au morne Hiver l’Automne prélude,Au déshérité qui n’a pas de pain,Que la vie est rude !Jamais la douceur ne vient l’apaiser,Dans son cœur souffrant nul amour n’existe.Oh ! pour qui ne peut goûter le baiser,Que la vie est triste !Quand, lassés des fleurs, des humilités,Il arrive enfin qu’un d’entre eux se fâche…Ah ! contre ces gueux qu’elle a révoltés,Que la vie est lâche !
La Vie
Torrent, Jacques
Texte de Jacques Torrent (≤1906).
Paru aussi in La Voix du peuple : journal syndicaliste paraissant tous les samedis (Lausanne, 1906-1914), in 1re année, nº 41 (20 octobre 1908).